Il est souvent dit que les tendances constatées aux États-Unis atteignent la France avec quelques années de retard. Et aussi que tout y est plus grand, démesuré, sur une autre échelle. Si c’est le cas, les défenseurs de la RSE ou des produits éco-conçus ont de quoi s’inquiéter.
Car apparemment la tendance assez nouvelle en France de vouloir faire passer (presque) tous les produits et services comme écolos, « durables » ou pire encore, « verts », sans que cela soit justifié, semble avoir déjà produit ses effets outre-atlantique. Résultat des courses : on connaissait le gagnant-gagnant, voici un exemple magnifique de perdant-perdant.
Les consommateurs sont les dindons de la farce, ils ne savent plus à quel saint se vouer même si beaucoup semblent comprendre qu’un changement de mode de vie est inévitable. Les entreprises US, écolos ou pas, en pâtissent également, car leur positionnement est forcément vu comme suspect. La poule aux œufs d’or n’est pas complètement morte, mais elle bat sérieusement de l’aile. Alors, en France, est-ce que les consommateurs comme les entreprises veulent en arriver là ? Si oui, on peut continuer dans le greenwashing. Si pas, il est grand temps pour les entreprises de passer à la communication responsable ! (Rappel : la communication responsable ne consiste surtout pas à ne communiquer QUE sur la RSE mais plutôt justement à savoir dans quel cas cela peut-être justifié et dans quel cas il vaut mieux s’en passer)
Une fois encore, ce n’est pas une conclusion personnelle ou purement militante, mais le constat d’études de marché considérées comme sérieuses. Elles sont rapportées par Bill Roth, qui a assisté à la conférence Marques durables 2010 (Sustainable Brands 2010) qui se tenait en juin dernier à Monterey en Californie. Et à la réflexion, je ne peux m’empêcher de penser que l’auteur de cet article est lui-même convenablement paumé devant tout cet étalage de peinture verte…
Les consommateurs ne savent plus à quel saint vert se vouer
Par Bill Roth | 21 Juin 2010
Consumers Are Confused on What is Green and Who to Trust
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http://www.triplepundit.com/2010/06/consumers-are-confusedon-what-is-green-and-who-to-trust/
Traduction : YPLLLa confusion des consommateurs sur ce qui est vert et à qui faire confiance était le principal thème des études de marché présentées à la conférence Sustainable Brands 2010.
La bonne nouvelle c’est que, comme le déclare Suzzane Shelton, la fondatrice de Shelton Group, se convertir au vert est « devenu tendance » pour 64 % de la population, qui cherche réellement des produits verts. Linda Gilbert, présidente de Ecofocus Worldwide, appuie ce constat : « 87 % des Américains disent que peu importe notre opinion sur le réchauffement climatique, nous devons modifier notre impact sur l’environnement. » Les conférenciers ont rivalisé de termes ou d’expressions perspicaces pour définir les comportements d’achat du consommateur vert émergent, dont « les républicains qui recyclent », « éco-mamans » et « une meilleure santé pour la planète et pour moi. »
Gwynne Rogers, du Natural Marketing Institute, a souligné des études de marché qui identifient « le groupe des convertis » comme une des clés de la consommation, en raison de leur nombre (1/4 du total) et de leur passage spectaculaire aux produits verts. 65 % des convertis ont réduit leur utilisation de bouteilles d’eau en plastique, comparé aux 33 % du segment de marché des LOHAS (Lifestyles of Health and Sustainability : styles de vie santé et développement durable). Les convertis ont également augmenté de 50 % leurs achats de produits d’intérieur naturels ; deux fois plus que l’ensemble de la population (25 %). Il est révélateur que les convertis deviennent moins regardants sur les prix du vert, au fur à mesure qu’ils s’impliquent dans la démonstration de leur engagement à être dans le coup. Rogers a remarqué fort à propos que les convertis qui s’informent avec Good Morning America, the Today Show et 60 Minutes sont plus touchés par des petits spots radio, des SMS, du « flash ».
Et pourtant, tout en voulant être verts, les consommateurs ont soif de confiance. Ils remettent maintenant en question des marques autrefois de confiance, comme Kellogg qui a été condamné par la FDA (NdT : Food and Drug Administration : l’administration américaine des denrées alimentaires et des médicaments) pour avoir surestimé les capacités nutritionnelles de ses céréales. Un des intervenants a laissé exploser sa colère : « combien de temps Kellogg poursuivra-t-il ses pratiques de gaspillage de packaging, en plaçant ses céréales dans un sachet lui-même placé dans une boite qui fait deux fois la taille du sachet de céréales qui est à l’intérieur ? »
Résultat de cette confusion du consommateur à propos de ce qui est vert et de qui croire : un vide de marques vertes. Shelton a fait remarquer que les consommateurs identifiaient Energy Star comme un logo de confiance. Par contre ils sont incapables de nommer une marque ou une entreprise d’électronique qui soit verte. L’étude de marché de Shelton révèle aussi que même si les consommateurs reconnaissent le concept de « maison verte » ils ne pourraient pas nommer une seule caractéristique de design qui serait incluse dans une maison verte. Plusieurs conférenciers ont évoqué l’incertitude du consommateur sur la distinction entre des aliments bio et des aliments naturels, ou encore l’incapacité du consommateur à identifier correctement le nom d’un produit chimique toxique.
Enfin, les consommateurs sont dans la confusion : quelles entreprises sont vraiment vertes ? Une étude de marché a trouvé que les consommateurs considèrent Starbucks moins écolo que Wendy’s (NdT : une chaîne de fast-food), alors que des experts du développement durable mettent Starbucks parmi les leaders des commerces ayant adopté des pratiques professionnelles durables. De même, des experts du développement durable placent Unilever parmi les meilleurs mondiaux dans leur adoption de pratiques durables mais les consommateurs n’arrivent pas à nommer un seul produit vert d’Unilever. À l’opposé, Clorox a fait de sa ligne de produits Green Works une marque au chiffre d’affaires de 100 millions de dollars, et le récent sondage de Cohn & Wolfe a classé Burts’s Bees, de Clorox, comme la marque verte la plus reconnue en Amérique.
Partant de cette confusion du consommateur, tous les responsables d’études à cette conférence y ont vu d’énormes opportunités de business pour les entreprises qui réussissent à bâtir un lien de confiance entre leur marque verte et le consommateur. Les mêmes concepts de confiance, de réputation et de performance du produit qui attirent les consommateurs à nos marques leaders historiques sont aussi ceux qui attireront les consommateurs vers une nouvelle marque verte, selon les experts. Gilbert nous a exhortés : « Lancez-vous, faites-le pour eux » en bâtissant des marques vertes qui rendent l’achat vert facile, pratique et abordable. Un intervenant après l’autre, la préoccupation était de personnaliser la marque. Les consommateurs passent au vert non pas pour sauver le monde, ils passent au vert pour qu’en bénéficient leur santé, leur bien-être, et pour économiser.
En résumé, les études de marché identifient chez les consommateurs :
– De la peur. Ils considèrent que leur santé et celle de leurs enfants sont menacées par les jouets importés de Chine et bourrés de plomb, et par les verres Shrek de McDonald’s , imprimées avec du cadmium (NdT : en juin, McDonald’s USA a rappelé 12 millions de verres Shrek, dont le motif imprimé contenait du cadmium, un cancérigène notoire). Les consommateurs exigent la tranquillité d’esprit de savoir que leurs achats ne sont pas un danger pour leur santé ou celle de leurs proches.
– De la recherche. Ils essaient de comprendre quels aliments sont bons pour leur santé. Ils cherchent des moyens d’obtenir une qualité de l’air intérieur qui apporte du bien-être à la famille. Ils regardent les labels et trouvent qu’ils ne répondent pas à leurs questions d’une manière facilement compréhensible et soutenue par une documentation crédible et digne de confiance.
– De la recherche de valeur. Les consommateurs attendent de leurs achats verts qu’ils leur laissent quelque chose dans le portefeuille. Ils investissent dans le solaire pour se protéger des futures hausses de prix de leur fournisseur d’électricité. Faire des économies est l’une des trois principales motivations d’achat d’une Prius.
Kierstin De West de Ci Research renforce ces observations par sa présentation sur la valeur marketing créée par la communication personnalisée avec le consommateur. Les études de son cabinet ont montré que les consommateurs étaient à l’intersection du personnel et du social. Les consommateurs cherchent des solutions pour leur « communauté » : leur famille, leurs voisins et l’école de leurs enfants. Kierstin a fait remarquer que les études de marché témoignent d’une impression répandue parmi les consommateurs : « se noyer dans le rêve américain. »
Enfin, plusieurs conférences ont insisté sur la défiance des consommateurs envers la publicité de masse. Bob Gilbreath, de Marketing With Meaning a évoqué la nouvelle révolution du marketing. Les publicités interruptives qui font du storytelling voient leur efficacité décliner, par rapport au nouveau paradigme de la pub, « marketing with meaning » (mettre du sens dans le marketing) où les gens choisissent de s’engager grâce au message de l’entreprise. Parmi les exemples marquants cités par Gilbreath, l’application iPhone nommée SitorSquat qui cherche des toilettes à proximité ou la collaboration entre Kroger et Clorox où est offerte une lingette Clorox quand un client de l’épicerie choisit un panier.
Pour résumer, la révolution de l’économie verte est là. Les consommateurs cherchent à acheter vert. Toutefois, ils sont dans la confusion et la frustration, à la recherche de marques authentiques, dignes de confiance, crédibles et faciles à comprendre, reliées à la fois à leurs raisons rationnelles et émotionnelles d’adopter le développement durable dans leur vie et leur style de vie.
Bill Roth est le fondateur d’Earth 2017 et l’auteur de The Secret Green Sauce.
Crédit photo : rutlo, sur Flickr, image mise à disposition sous un contrat Creative Commons by.
Merci d’avoir pioché l’article et merci pour la traduction !
Tout ceci est plus qu’intéressant. Toutefois, j’ai le sentiment que même si l’on est « paumé », cette étude est diablement optimiste. Plus même, on a l’impression que l’étude n’a rencontré que des personnes sensées (ils s’informent, ils regardent, ils cherchent), population qui me semble extrêmement minoritaire.
Merci pour le merci, Baptiste ! 🙂
Oui, les constats tirés de ces études sont surprenants. Ils font hausser les sourcils. En France, on a l’impression (subjective et avec les études récentes) que la frange des consommateurs qui se posent des questions sur ce qu’ils achètent est certes en progression, mais toujours assez mince. Alors, il en serait autrement aux États-Unis ?
Et puis, c’est quoi, acheter vert ?…
C’est toujours sain d’aller lire ce qui se passe chez nos voisins, merci pour la trouvaille Yonnel.
Certaines caractéristiques sont décidément propres à l’outre Atlantique – et témoignent peut-être de la persistance du rêve américain – mais globalement les attentes des consommateurs américains me semblent proche des attentes des français. Le dernier paragraphe de l’article pourrait d’ailleurs s’appliquer à beaucoup de nations !
Acheter vert, c’est certainement pas acheter un logo ou une marque connue pour son engagement RSE aux dépens d’une marque sans logo et sans engagement. C’est plutôt adapter sa consommation à mon sens : moins mais mieux.
Vive la rentrée, et le retour des commentaires bien kiffants !
Je te rejoins dans ta judicieuse définition de l’achat « vert ». Mais alors, du point de vue de l’entreprise (qui est ce dont parle ce blog, by the way), comment satisfaire ce mode de consommation ? Beaucoup de réflexes de l’entreprise – le profit par l’augmentation de la production – doivent être dépassés. Cela s’applique aussi à la communication : si les clients veulent acheter moins mais mieux, peut-on encore n’avoir comme but que la notoriété et le fait d’attirer vers le lieu de vente ? Poser la question c’est y répondre.
J’avoue ma perplexité devant le vocabulaire employé par notre ami Bill Roth. Par contre, son intuition (il y a de la place pour des entreprises qui collent aux valeurs de ce nouveau consommateur, et même un vrai boulevard) me semble très juste et tout aussi vraie en France. Combien d’entreprises sont réellement appréciées des écolos ? Peu, mais elles surperforment leurs concurrents plus classiques. Par contre, si responsabilité égale encore rentabilité, le simili-écolo (celui qui greenwashe à tour de bras) fait perdre de l’argent à tout le monde : il sape la confiance en toute entreprise, et ce n’est pas rien. Enfin, je radote… 😉
Je viens de trouver un terme adéquat je pense : pollution verte !
Bien vu… drôle de système quand même, où l’entreprise peut parfaitement avoir des comportements mensongers ou qui nuisent à la collectivité, sans pouvoir la plupart du temps être inquiétée…