« Réenchanter la communication » est une des grandes arlésiennes de la communication, miracle espéré mais qui n’arrive jamais, véritable mantra répété sans qu’on en comprenne le sens. Suggestion : pourquoi pas arrêter de réenchanter dans le vide, pour passer enfin à des objectifs utiles et atteignables ?
Véritable nanar du genre, « réenchanter la communication » est à la com ce que « sauver la planète » est à l’écologie : pour porteuse de bons sentiments que soit l’expression, elle propose un horizon trompeur (sauver la planète ou protéger l’espèce humaine ?) et ne permet pas de porter l’attention et les efforts là où il le faudrait. Toutes les tentatives de réenchanter sont vouées à l’échec… à cause de leur objectif même. Pour le dire autrement, tant qu’on cherchera à réenchanter, il sera impossible de réenchanter.
D’ailleurs, il y a 5 ans, l’ordre du jour était déjà celui-là… Rien ou presque n’a changé depuis, et on pourrait y passer 10 ou 50 ans de plus qu’on en resterait toujours au même point, c’est-à-dire nulle part.
Enchanter à nouveau ?
Pour se convaincre de l’inutilité consubstantielle à cet objectif (je voulais juste caser le mot « consubstantiel » – une prochaine fois, je tenterai le coup avec « organoleptique »), prenons l’expression telle qu’elle est. Si nous voulons réenchanter la communication, il faudrait qu’elle eût déjà été enchantée. J’enchante, je ré-enchante.
Or, l’a-t-elle jamais été ? Jusqu’où faut-il remonter pour trouver un véritable enchantement par et pour la communication ? En France, les années 1980, celles de la pub reine ? C’était un enchantement pour les pubards, et pour eux seuls (et encore !). Reste aujourd’hui l’image d’une profession qui s’est beaucoup regardé le nombril, a brassé beaucoup d’air et a beaucoup profité au dépens des autres. Ces années fric et frime n’étaient qu’un enchantement bien superficiel, et il faut espérer qu’on n’y revienne jamais.
Plus loin, toujours en France, on peut évoquer les années 1950, celles de la reconstruction, de la découverte du confort… et des débuts de la communication de masse. Les messages avaient alors bien plus d’impact que maintenant, tous ceux qui ont vécu cette époque vous le diront. Si tant est que l’enchantement ait donc été un poil plus généralisé à cette époque, territoire vierge oblige, cela signifie que nous sommes à plus de 5 décennies de la dernière traçounette d’enchantement ! Autrement dit, aucune des recettes du passé ne saurait être reprise telle quelle pour parvenir à réenchanter.
Et puis, faut-il tout simplement réenchanter ? C’est quoi, réenchanter ? Enchanté, comme quand on est heureux d’être présenté à quelqu’un ? Si je prends les définitions du terme, veut-on « charmer par des sortilèges » (bonjour les neurosciences) ? Pourvu que non ! « Causer un très vif plaisir » ? C’est un peu mieux, mais toujours insuffisant – surtout si ce plaisir n’est que le plaisir égoïste des communicants. « Une grande admiration » ? Là aussi, c’est hors sujet. La communication n’est pas que du fun, elle n’est pas essentiellement faite pour qu’on l’admire. Elle est faite pour promouvoir et pour propager des idées, de sorte que la vie de la cité soit plus fluide et plus riche.
Développement durable, conso collaborative, victimes collatérales du réenchantement ?
Il y a environ 5 ans, l’expression « réenchanter la communication » a connu un pic d’utilisation. C’était alors le développement durable qui était censé réconcilier tout le monde autour de valeurs communes. Bilan : il n’a rien réenchanté du tout, et c’est même tout le contraire, nous sommes tombés dans le désenchantement le plus complet. La thématique RSE, censée créer un large consensus des parties prenantes, a été récupérée par ceux qui n’avaient aucune légitimité pour le faire, et dépouillée de toute sa substance comme de son potentiel – cela a donné le désormais très célèbre greenwashing.
Quand j’entends donc que ce serait peut-être maintenant la consommation collaborative qui pourrait réenchanter la communication, cela a un goût de déjà-vu, de ceux qui gratouillent la gorge et montent au nez. Qui peut être assez naïf pour s’imaginer que comme par magie, ce qui ne fonctionne pas depuis des années se mettrait subitement à faire des miracles ? Par le simple fait qu’on aborde un autre sujet ? Tout ce que cette énième tentative de réenchantement va réussir, c’est décrédibiliser la consommation collaborative, comme la communication abusive a décrédibilisé le développement durable – responsabilité partagée avec la politique et le business. Les premiers abus de cowashing ont déjà commencé à se manifester.
Du réenchantement au retour à la confiance
Alors, s’il ne faut pas réenchanter, que faut-il chercher à faire ? Où porter nos efforts pour qu’ils soient utiles ? Le souci, c’est qu’on ne peut pas réenchanter sur un édifice bancal. À quoi cela servirait-il aux publics de la communication d’être absolument enchantés, s’ils savent que de toute façon on leur vend du vent, comme le démontre l’étude GfK Verein ?
La question qui mérite d’être traitée en priorité, me semble-t-il (cela mérite débat), est celle de notre crédibilité et de la confiance dans la communication. Nous n’avons pas besoin d’un nouveau thème, c’est la façon dont nous traitons tous les thèmes qui doit être notre principal sujet de réflexion. De même, nous n’avons pas besoin de nouveaux moyens pour imposer la communication (les contournements pour forcer le visionnage de pubs sur Internet, le real-time bidding, la vidéo dans la publicité extérieure, ou je ne sais quoi d’autre).
Le problème central, et c’est ce sur quoi la communication responsable insiste, c’est la façon de communiquer. Les valeurs que l’on transmet. Le contrat que l’annonceur noue avec les parties prenantes. La cohérence du discours. Les preuves que l’on apporte. Le degré de transparence. Tout cela est beaucoup plus terre à terre que de vouloir réenchanter. Il s’agit simplement de vouloir être cru. Objectif ô combien plus utile pour les communicants, et s’il n’est pas tellement plus facile à atteindre, au moins peut-on commencer à faire évoluer les pratiques. Là. Maintenant.
Note 1 : le titre de cet article illustre bien l’importance de la ponctuation. Virgule indispensable.
Note 2 : article fonctionnant très bien aussi avec « réenchanter la consommation », « réenchanter les ressources humaines » ou « réenchanter la politique ».
Crédit photo : des fées qui volent dans la forêt, sur Shutterstock.
Bravo à toi et ton cul-ot pour cette analyse qui j’espère déculottera les ré-enchanteurs…
Héhé, merci Céline ! 😀 Je sens qu’il va y avoir du calembour… En tout cas, c’est un article qui a été très plaisant à écrire.
Bonjour,
Comme vous avez raison. Ce qui me frappe le plus c’est le déni des publicitaires et la volonté de réassurance de leurs clients, prêts à tout, jusqu’à gratter nos neurones et s’y infiltrer. Des stratégies tellement intrusives et tellement peu responsables.
Bonjour Babette, et bienvenue sur ce blog ! Très heureux de vous y accueillir, je suis un fidèle lecteur de vos aventures de marketeuse repentie.
Comme il est difficile d’aller contre ce déni des publicitaires… Et pourtant, faire face aux problèmes, c’est la meilleure façon d’espérer les résoudre. On veut l’efficacité, ou on ne la veut pas ? Heureusement, on rencontre encore de temps en temps des pros qui ont suffisamment de lucidité.
Je relayerai bien ton article sur page Facebook de l’UECDD… Je peux, je peux, dis?
Fais-toi plaisir 🙂 (au point où on en est !)
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