Cela n’a sûrement échappé à aucun amoureux du net, la loi dite Hadopi 2 a été adoptée hier. Et comme beaucoup d’amoureux du net, vous vous dites certainement que cette loi témoigne de la tendance à vouloir faire du web un minitel 2.0, un réseau où le seul contenu digne d’être produit viendrait du centre du réseau, et où les utilisateurs en périphérie reviendraient à un état de passivité et de non-participation.
Et comme tous les amoureux du web, vous êtes passionné de nouvelles technologies. J’ai une confidence à faire : moi aussi. Je regarde avec le petit filet de bave qui va bien le dernier gadget qui fait le buzz, le logiciel qui permet de tout faire, partout, tout le temps. Sauf que voilà, juste après m’être extasié comme un enfant naïf que je suis encore un peu, je me pose immanquablement quelques questions de base.
Qu’est-ce que cette technologie me laisse libre de faire ? Est-ce que j’ai vraiment besoin de ça ? Quel est son coût réel, sur tout son cycle de vie et pour tous ceux qui y ont été impliqués ? Est-ce que c’est de l’internet, ou du minitel ? Est-ce que je choisis d’être plutôt cool, ou plutôt libre ?
Je ne dis pas que les réponses à ces questions sont évidentes, elles ne le sont pas. Mais une fois dans cette réflexion, on agit plus posément, moins sur l’instinct de consommation. L’unanimité autour de l’iPhone et du modèle d’Apple me laisse perplexe. Vous défendez un web libre ? Mais pourquoi alors aller vous enfermer dans une telle prison numérique ? Qui verse très vite dans l’inutilité totale ?
Voici un article issu du Club des Vigilants, qui résume bien les contradictions d’Apple (qui n’a rien à envier à Microsoft). Petite erreur au paragraphe consacré aux logiciels libres, qui sont tellement plus que gratuits : un logiciel libre peut très bien être payant, cela a été prévu par Richard Stallman dès l’origine du projet (1983). Ce qui importe, c’est ce que vous avez le droit de faire avec le logiciel que vous utilisez.
Le paradoxe du citoyen consommateur – par Bruno Kerouaton, sur le Club des Vigilants (sous licence Creative Commons by-nc)
Apple est loin d’être seule en cause mais le succès phénoménal de son iPhone illustre, à bien des égards, le paradoxe du citoyen consommateur contemporain.
D’un côté, il se dit écolo. De l’autre, il se jette sur un appareil dont la batterie est intégrée au téléphone, faisant de l’objet un produit jetable complexe à recycler.
D’un côté, il prône la liberté de téléchargement sur Internet, et le droit de dupliquer à l’infini films et œuvres musicales au grand dam des auteurs et de leurs ayants droit. De l’autre, il se précipite sur l’une des plateformes informatiques les plus verrouillées en termes de mesures anticopie.
D’un côté, il se méfie des monopoles. De l’autre, il utilise la plateforme de téléchargement AppStore qui centralise de manière obligatoire toute application disponible, préalablement soumise à la censure de l’éditeur californien.
D’un côté, il défend les logiciels libres et leur gratuité. De l’autre, il n’a jamais autant acheté de logiciels depuis la mise en place de l’AppStore.
D’un côté, il aime l’anonymat et le respect de la vie privée. De l’autre, il se rue sur l’iPhone qui est l’une des plateformes les plus intrusives, en termes de géolocalisation, mais également de suivi des habitudes d’utilisation et de consommation.
Le succès d’Apple tient à la technologie et à l’innovation. En offrant à ses clients un produit très en avance sur ses concurrents, en termes d’ergonomie et de fonctionnalités, ceux-ci sont prêts à en oublier les inconvénients, voire carrément à en occulter l’existence.
Ce comportement paradoxal doit être pris en compte dans le cadre de nouveaux enjeux sociétaux relatifs aux nouvelles technologies. Risques liés aux réseaux sociaux, difficulté de mise en application de réglementations de type Hadopi et bien d’autres thèmes d’actualité devraient être revus en tenant compte de cette surprenante tendance.
Crédit photo : ryanoelke, sur Flickr, image mise à disposition sous un contrat Creative Commons by-sa.