Je jette un œil de temps en temps aux sélections du site « Best ads on TV » (les meilleures pubs télé). Et ce matin, j’ai eu un choc. Un film pour les jeans Wrangler, réalisé par l’agence Fred & Farid, et qui nous invite à arrêter de réfléchir. Des jeans ou un projet de société ?
Le film, le voici :
J’y suis entré par le petit bout de la lorgnette, interpellé par la présence de joueurs de football américain. Je joue au rugby, que l’on pourrait désigner comme du football américain avec moins de protections. « If you think too much, this would be too brutal », nous dit la grosse voix masculine. « Intéressant », me dis-je. Et surtout complètement faux.
Qu’est-ce que je pense quand un malabar de 1,90m pour 120 kilos me fonce droit dessus balle en main, et que je dois le mettre à terre ? À m’en aller au plus vite ? À surtout ne pas penser ? Pas du tout. Je pense à la situation de jeu, à ce qui arrivera s’il me passe, à mon duel avec lui, à ses options de jeu (pour savoir ce que je dois empêcher avant tout), à ses foulées et à la position de ses hanches (pour savoir sa direction et où me lancer). Je ressens un mélange de peur et d’adrénaline, et je sais que je vais devoir sacrifier un peu de douleur pour le bien de l’équipe. On est loin de l’absence de pensée, non ?
Titillé par cette logique un peu bizarre qui voudrait que la pensée soit l’ennemi de l’action, je vais jusqu’au bout du spot. Le slogan : « Stop thinking ». De belles images, une belle histoire, certes. Et c’est pour quoi, déjà, cette pub ? Pour des jeans. Des jeans ! Quel est le rapport avec la choucroute garnie ? Wrangler, le jean des mecs qui ne pensent pas, des gros bourrins ? La marque cherche une identification, que l’on sente en nous le boxeur, l’aventurier, l’amoureux du risque. Et que l’on achète le jean en pensant qu’il va donner de nous cette image. Relisez la dernière phrase, pensez-y. Mon jean fait-il de moi un aventurier ? Aucune chance.
En fait, on est en plein dans la tendance des marques qui veut que l’on ne vend pas un produit, mais une image, ou mieux encore, un imaginaire. Ce film a-t-il évoqué de près ou de loin la qualité, le look de ces jeans, a-t-on seulement vu un jean ? Non. Comment les choisir, alors, si on ne sait pas ce que c’est ? Je me rends sur le site web de la campagne. Et je lis : « WE ARE ANIMALS nous invite à être davantage à l’écoute de nos instincts et de nos émotions d’êtres humains. Cette affirmation nous rappelle notre véritable essence, car elle nous renvoie à tout ce qui est pur, naturel, instinctif et spontané en nous. WE ARE ANIMALS est une quête exaltante, une philosophie personnelle, une vision optimiste de la vie et une invitation à être fidèles à ce que nous sommes. »
Je ne sais pas vous, mais moi, cette idée selon laquelle on ne doit pas trop réfléchir me fait froid dans le dos. C’est un projet de société : des consommateurs, des citoyens bien dociles, qui n’obéissent qu’à leurs instincts basiques, que l’on peut donc plus facilement influencer. Rien d’autre que des animaux, sans vie culturelle ou sociale évoluée. Des bœufs, quoi. Au contraire, réfléchir est vital. Se poser des questions, remettre en cause ce qui est établi. Essayer d’aller plus loin. Trouver des valeurs, des raisons d’agir, et après, foncer. Mais toujours en réfléchissant.
Crédit photo : ben pollard, sur Flickr, image mise à disposition sous un contrat Creative Commons by-sa.