Où un colloque sur « l’implication des citoyens et des acteurs locaux » dans « la préparation au post-accidentel nucléaire » révèle l’impuissance des parties prenantes, la vision de la communication de l’industrie du nucléaire, et une tendance à vouloir faire passer le nucléaire comme un choix indiscutable.
Vendredi dernier (4 décembre 2009), j’ai passé la journée au Nouveau Siècle de Lille, pour assister à un colloque qui semblait plein de promesses. Son sous-titre « sortir du silence, entrer dans la transparence » augurait d’un changement de perspective. Et comme toute la brochette des acteurs nordistes et nationaux du nucléaire étaient présents, de l’ASN à l’IRSN en passant par le directeur de la centrale de Gravelines ou encore un nombre impressionnant de politiques, je m’imaginais naïvement qu’enfin un vrai dialogue allait pouvoir se nouer, des points de vue s’exprimer, des positions s’infléchir. Au lieu de cela, j’ai été confronté à une vision très particulière de la communication et des relations publiques.
Quelques mots de contexte : le nucléaire dans le Nord-Pas-de-Calais, c’est avant tout la centrale de Gravelines. Une belle bête, et même la plus grande d’Europe de l’Ouest. Gravelines, c’est 6 réacteurs de la même puissance que celui qui a explosé à Tchernobyl, entourés de sites Seveso. Tellement entourés qu’un port méthanier, classé Seveso (au seuil maximum), devrait s’installer en 2014… à 4 kilomètres de la centrale, histoire de renforcer la sécurité. Une centrale vieillissante, dont la construction a débuté en 1975, qui brille par le nombre d’incidents, la véritable omerta qui règne dans les médias locaux et l’exposition inouïe de la population.
Le Nord-Pas-de-Calais, c’est aussi un point de passage quasi-obligé pour les déchets nucléaires de l’Europe du Nord, du fait de sa position géographique et de ses infrastructures de transport. Les déchets traversent la région par train et par camion. Pour ces derniers, vu la densité de circulation, l’absence d’accident jusqu’ici est un petit miracle. Pour finir, le Nord-Pas-de-Calais, c’est aussi l’exposition réelle à une centrale aux Pays-Bas (le nuage ne s’arrêtera pas à la frontière belge) et à deux centrales belges. Autrement dit, une région qui attend sa catastrophe nucléaire.
Je vous laisse dialoguer entre vous, j’ai piscine
Passons maintenant aux enjeux de communication. Dans un colloque d’une journée, on a le temps de voir précisément le type de discours et les arguments choisis par les principaux acteurs. Quelques constats intéressants : il n’existe pas en France de plan d’urgence complet pour faire face à un accident nucléaire. Relisez cette phrase, c’est assez incroyable. La réflexion n’a débuté qu’en 2005 (CODIRPA) et un guide national, donc pas encore adapté aux spécificités de chaque centrale, devrait sortir courant 2010. La loi « Transparence et Sûreté Nucléaire » de 2006, dont les décrets sont parus en 2008, a officialisé les Commissions locales d’information, mais elles n’ont pas les moyens de faire leur travail (600 000 € de budget total quand il en faudrait au moins 4,5 ou 5 millions). Quant à la réaction locale, l’adjoint au maire de Gravelines en charge de l’environnement le confesse : « il faudrait avoir des dispositifs d’urgence ». Côté pouvoirs publics, donc, la communication fait preuve d’une certaine sincérité, malgré leur apparente impuissance.
Le but du colloque était d’impliquer le public dans la gestion du risque nucléaire. Mais tous les dispositifs reposent sur une condition, qui pourrait faire passer le dialogue comme réel si on l’ignore. Cette condition, c’est que la quasi-totalité des éléments matériels sont fournis par l’exploitant de la centrale. Son directeur, Jean-Michel Quilichini, était présent à la première conférence. Complicité affichée avec l’ASN, volonté apparente d’ouverture ( « je me réjouis des débats »), grands principes volontaristes… mais défense farouche des secrets industriel, commercial et de « sécurité publique », et application a minima des obligations légales. Par exemple, l’obligation de répondre à toutes les demandes écrites est parfaitement respectée, puisqu’elle n’impose pas des réponses complètes et détaillées.
Puis, une fois la première conférence terminée, sans un mot de plus, le directeur de la centrale, qui devait donc donner tous les éléments factuels servant de base au débat, est parti, petit sourire en coin, et les 3/4 du colloque se sont tenus sans représentant d’EDF. Le vrai dialogue a donc dû faire une vingtaine de minutes, avec trois prises de parole pour Jean-Michel Quilichini. Dialoguer à propos de, oui, mais pas avec.
Restriction du thème, restriction de l’expression
Les failles ne s’arrêtent pas là : le débat était soigneusement consigné au « post-accidentel ». Possibilité de gérer un tel risque ? Prévention ? Légitimité du choix du nucléaire ? Problèmes des déchets, de la sécurité ? Sous-traitance ? Incompatibilité entre recherche de profit et sécurité ? Ben, non, désolé, hors sujet. Le choix du nucléaire est entériné, les gens doivent accepter la fatalité et ne penser qu’à leur sort APRÈS un accident. Peut-il y avoir dialogue sur ces bases ?
Visiblement, non. Tout le monde a été perdant : des organisateurs aux participants, en passant par des anti-nucléaires qui ont fait une intervention bruyante et violente, qui n’a fait que les discréditer, alors qu’ils posaient des questions pertinentes. Mais d’ailleurs, pourquoi un tel débat avait-il lieu à Lille, et pas à Gravelines ?
Un débat proprement saboté
Au-delà de tout cela, un point m’a profondément intrigué. L’animatrice du débat était une journaliste (que je ne citerai pas) dont le CV pouvait augurer d’une neutralité bienvenue. Pourtant diplômée en physique nucléaire, elle a brillé par sa médiocrité, sa capacité rare à rendre incompréhensibles les questions les plus simples. Beaucoup de ses phrases n’avaient aucune logique grammaticale ou lexicale. Elle a passé le plus clair de son temps à noter des phrases sur un paperboard illisible pour le public. Faiblesse passagère ou sabotage organisé ? Par contre, le débat était bien cadré. Toute intervention du public de plus de deux minutes était impossible, et bien des participants n’ont pas pu poser leurs questions.
Conséquence logique : d’une salle quasi-pleine au début de la journée, il ne restait plus guère que les intervenants et quelques élus dès le milieu de l’après-midi. Aucun compte-rendu dans la presse. La filière du nucléaire félicitera sans doute d’avoir pu interagir avec les parties prenantes. Pour une vraie communication, on repassera. Vraiment, pour la communication comme pour l’éthique, vive les énergies renouvelables !
Crédit photo : quinn.anya, sur Flickr, image mise à disposition sous un contrat Creative Commons by-sa.