Le 26 janvier dernier, j’assistais à la conférence « Pourquoi la marque » organisée par l’Adetem, à Skema Lille. Les thèmes et réflexions abordés étaient riches, et n’ont depuis cessé de trotter dans ma tête. J’en tire donc quelques élucubrations matinales sur ce qu’est une marque, à partir d’une citation et d’une illustration. Histoire de secouer quelques certitudes, à commencer par les miennes…
Personnification abusive
Une phrase m’a donc marqué durant cette conférence. Elle venait du public, en réponse à une question de l’animateur. Elle était affirmée avec beaucoup de conviction : « une marque, c’est une personne. » Cette phrase résume bien la conception de la marque la plus généralement adoptée. La marque, avec son identité, ses attributs, sa personnalité, son apparence, ses discours, etc. C’est certainement un excellent outil pour développer et faire vivre les marques…
… à partir d’un gros contresens. Je soutiens qu’une marque n’est pas une personne, et ne le sera jamais. Quelques éléments pour étayer cette prise de position :
– une marque ne ressent rien, elle n’a pas de sentiments (encore moins que l’entreprise qui la porte) ;
– une marque ne peut pas s’exprimer comme une personne, elle n’a pas les mêmes canaux d’expression ;
– comme elle ne s’exprime pas comme une personne, son discours n’est pas celui d’une personne (dans son ton, dans ses buts, dans les mots qu’elle choisit) ;
– une marque n’a pas de construction progressive de sa personnalité ;
– une marque n’a pas d’enfance ;
– une marque n’a pas de parents ou de personnes qui lui donnent un cadre de valeurs dans (ou en-dehors duquel) elle va baser son évolution ;
– une marque n’a pas de relations humaines, d’amitié, d’amour ;
– une marque n’a pas de réactions physiques qui influencent sa perception…
On peut trouver des points de comparaison, mais fondamentalement, l’assimilation totale est impossible. Une marque peut parfois être comme une personne, mais comparaison n’est pas identification. La projection de caractéristiques humaines sur une construction intellectuelle comme la marque me semble même constituer un fort mauvais départ, qui loin de rendre la marque forte, peut créer un malaise, un début de suspicion envers la marque, qui prétend être ce qu’il est absolument impossible qu’elle soit.
Alors qu’est-ce qu’une marque ? En rester à une conception de la marque comme l’ensemble d’éléments permettant de différencier une entreprise, ses produits ou gammes de produits, me semble simple et sain. Repartir de la base et d’une différentiation vraie, plutôt qu’inventer un univers virtuel et sans ancrage.
Arc, de la cristallerie à l’international
Un autre moment fort a été l’intervention d’une représentante d’Arc International, marque française des arts de la table. Deux points : d’abord, leur stratégie actuelle de multiplier les marques est-elle la bonne ? Ils ont évolué d’une situation avec très peu de marques et de nombreux produits, à maintenant trois pôles, chacun ayant ses marques, et en-dessous ses identités de gammes… Avant : une marque forte, ancrée dans un territoire, une histoire, un capital. Après : tout est à recommencer presque de zéro, pour chaque marque de l’entreprise, une à une. Des marques faibles, qui nécessitent un flux continu de nouveautés pour durer… chaque cas est unique, mais ici les gains à court terme suffiront-ils à lutter notamment contre la banalisation entraînée par les marques de distributeurs ? Le temps dira si la marque hors sol est plus efficace que la marque tradition.
Et puis, sur un plan plus personnel, il se trouve que je suis originaire d’un petit village du Pas-de-Calais, à quelques kilomètres du siège historique de la marque, Arques. Il y régnait depuis longtemps un paternalisme patronal qui organisait la vie de nombreuses villes et villages aux alentours, avec ses salles de sports, ses clubs de vacances, ses épiques cérémonies de remises de médailles du travail par l’entreprise… désuet, certes, mais cela donnait du travail à des kilomètres à la ronde, et ce sur plusieurs générations. En même temps que le passage de la « Verrerie cristallerie d’Arques » à « Arc International » en 2000, l’usine d’Arques est passée en peu de temps d’un maximum d’un peu plus de 12 000 salariés à environ 6 000, délocalisations obligent. Histoire banale d’un territoire sinistré, mais quand on en est le témoin direct, impossible de ne pas être frappé par la violence des effets de cette décision, comment dit-on déjà ?… courageuse.
Peut-être ne fait-on pas de marques et d’entreprises rentables sans casser des œufs. Excusez-moi tout de même d’avoir la faiblesse de penser que le fait de s’appuyer sur un territoire, et d’assumer sa responsabilité économique historique puisse faire sens aussi bien pour le développement de l’entreprise que pour son image de marque. Tout cela, les marques du groupes Arc International n’en font pas mention. Pire, elles le cachent, en focalisant l’attention sur autre chose. Quand l’image de la marque est en opposition avec la réalité, attention danger…
Crédit photo : neolao, sur Flickr, image mise à disposition sous un contrat Creative Commons by-sa.