Le Peuple des Dunes, vous connaissez ? C’est le nom sous lequel se sont regroupés les habitants concernés par un projet du groupe Lafarge, au large du Morbihan. Et les parties prenantes ont réussi à faire reculer la multinationale, qui a durablement perdu la bataille de la communication.
Jeudi 2 juillet 2009. On ne peut qu’imaginer ce qui s’est passé dans des milliers de foyers bretons. Les bolées que l’on remplit de cidre, les sourires jusqu’aux oreilles, les embrassades, les larmes de joie, les coups de fil pour répandre la nouvelle. Deux années de combat, et la victoire du peuple contre la multinationale.
Le groupe cimentier Lafarge, en recherche de matières premières, avait pour projet d’extraire du sable en mer, en collaboration avec Italcementi. Beaucoup de sable : 600 000 tonnes par an, 18 millions en 30 ans – estimation Lafarge. Et ce jeudi soir, le préfet maritime a rejeté la demande de concession. Lafarge a aussitôt annoncé l’abandon du projet.
Un combat de longue haleine
L’affaire ne date pas d’hier. Cela fait 5 ans que Lafarge essaie de prélever du sable nécessaire à son activité, entre les presqu’îles de Gâvres et Quiberon. Seulement voilà, les habitants de cette si précieuse côte morbihannaise (qui comprend la magnifique ria d’Étel) n’étaient pas d’accord. En 2007, ils se sont regroupés sous le nom de Peuple des Dunes, fort de 140 associations, de nombreux élus, et au final plus de 12 000 personnes mobilisées. Leurs reproches au projet de Lafarge : affecter définitivement la biodiversité marine et mettre en danger les villages côtiers, le banc de sable en question étant une barrière naturelle contre des marées de plus en plus virulentes.
Les épisodes furent riches et variés. D’un côté, publication d’expertises rassurantes, lobbying bien placé, mise en avant d’une politique de développement durable (partenariat avec le WWF, qui a du souci à se faire pour sa crédibilité). De l’autre, meetings sur la plage, fest-noz, blogs, communication bordélique (aucun autre mot n’est adapté !) et contre-expertises indépendantes. Encore le mois dernier, le recours du Peuple des Dunes contre le projet d’implantation de Lafarge à Lanester avait été rejeté par le tribunal administratif de Rennes, et le groupe industriel semblait bien parti pour l’emporter. Jusqu’à cette décision du préfet maritime, qui permet à Lafarge de sauver la face, en considérant la zone comme un champ de tir militaire, donc inexploitable.
La morale de cette belle histoire
Ainsi, un groupe pesant 19 milliards d’euros de chiffre d’affaires (2008) ne peut rien contre quelques centaines de buveurs de chouchen motivés et dont le bien fondé de la cause est incontestable. Que toutes les entreprises se le tiennent pour dit : si les parties prenantes sont opposées à un projet, elles auront gain de cause, peu importe la différence de puissance. Autant les consulter avant d’aller à l’affrontement, non ?
La communication de Lafarge a été particulièrement déficiente. Elle n’a fait que révéler un mépris pour l’avis de la population, une capacité de manipulation et de mauvaise foi rare, et aucune volonté de collaboration. Je crois que beaucoup de Bretons vont faire attention à la marque de leur ciment ou de leurs parpaings. Rien de grave sur le court terme, mais un désastre sur l’image à long terme. Pour beaucoup, Lafarge, c’est l’ennemi.
Transparence, encore et toujours
Passons maintenant à la gestion de la défaite par Lafarge. Quelle a été leur réaction ? Un communiqué de presse laconique, et c’est tout. Qui plus est, ce communiqué ne reconnaît pas que le projet avait des impacts négatifs, et laisse entendre que ce n’est que partie remise. Comble de malchance, le communiqué ne figure pas dans la rubrique idoine sur le site web de Lafarge (il est sur le site, mais caché). C’est donc une défaite à moitié reconnue, et à moitié dissimulée. Cette communication donne vraiment envie d’accorder toute sa confiance à un groupe facilitant un dialogue franc et ouvert. Hum…
Je n’ai pas à conseiller Lafarge. Mais ils sont en train de perdre la bataille de la communication, et leur « politique de développement durable » ne ressemble plus à grand-chose. S’ils appliquaient la communication responsable, ils renoueraient le dialogue avec les parties prenantes. Ils demanderaient conseil au lieu d’essayer de dominer. Cela serait l’occasion de faire amende honorable, d’admettre que la démarche n’était pas la meilleure, peut-être d’organiser une rencontre avec le Peuple des Dunes. Et surtout, ils s’efforceraient de trouver un endroit où puiser le sable qui leur est nécessaire, en exposant au grand jour leurs prospections, et en allant à la rencontre des parties prenantes du lieu qu’ils choisiront. Honnêtement, sans chercher à rien dissimuler, sans chercher à passer en force. C’est le seul moyen de retrouver du crédit.
Crédit photo : Bruno Corpet, sur Flickr, image mise à disposition sous un contrat Creative Commons by-nc-sa.