La dixième édition du salon Produrable, il y a un peu plus de deux semaines, était l’occasion de voir si le secteur avait évolué. Réponse globalement négative : sur le fond, c’est encore un marché d’opportunité, voire d’opportunisme, et en même temps un marché de niche. Alors, pour que la niche ne tombe pas sur le chien, les présentations évoluent, et de nouveaux axes sémantiques se développent. Opportun ou ridicule ? À vous de le dire.
Le développement durable a duré
Premier constat : elle est loin, la mode du développement durable. Ah, les belles années 2007-2010, où nous nous croyions les rois du pétrole vert ! Des années où nous avons bouffé et fait bouffer du développement durable à toutes les sauces.
Depuis déjà quelques années, le développement durable a perdu de sa superbe. Concept trop flou et trop malléable, où tout le monde peut y mettre ce qu’il veut, surtout le positif. Mais avec le temps (le rapport Brundtland date de 1987, il y a 30 ans), on ne peut pas dire que les avancées aient été spectaculaires, et cela commence à sacrément se voir. En clair, les promesses du développement durable ne se sont pas matérialisées. Au lieu de changer le cœur du système économique, il n’a permis que des améliorations marginales.
(Le premier qui me sort le sempiternel « oui mais c’est mieux que rien » gagne un voyage sur le septième continent.)
Quant à la RSE, la déclinaison pour entreprises du DD, elle subit presque le même sort. À quelques différences notables près : d’une, le concept est encore plus imbitable, une vraie usine à gaz à effet de serre, ce qui ne favorise ni sa compréhension ni son adoption ; mais dans le même temps, les obligations légales en la matière font qu’il reste et va rester un marché pour les prestataires. Avec malheureusement la plupart du temps le même côté accessoire et bien joli.
La faute à qui, la faute à quoi ? Avant tout à des abus trop fréquents, ces centaines de cas de greenwashing ordinaire qui ont empêché toute confiance. Mais aussi à ces acteurs qui ont refilé le bébé à ceux qui ne voulaient que profiter de la dynamique et pas changer leurs pratiques d’un iota (mention spéciale à Acidd, association de l’entre-soi, et au Comité 21 notamment pour ce fabuleux salon Solutions COP21, point culminant du greenwashing !). Au final, on peut résumer ainsi cet échec : le développement durable a été récupéré, assimilé, vidé de sa substance.
Et les nouveaux buzzwords sont…
Mais comme la grande majorité des acteurs du DD et de la RSE tirent un peu la langue, et qu’il faut bien continuer à rouler en voiture hybride (oui je sais, là je trolle), il est urgent de trouver des concepts pour remplacer le développement durable et la RSE, et retrouver un peu de fraîcheur et d’innocence. Allez, soyons fous, ces nouveaux mots vont nous donner un second départ et nous permettre de devenir les riches sauveurs de la planète.
Ces miracles de renouvellement sont :
« Transition »
LE nouveau mot à la mode. Transition vers quoi, mystère savamment entretenu… et nœud du problème.
« Économie circulaire »
Je n’ai toujours pas compris en quoi l’économie circulaire faisait système. En quoi est-elle une économie à part entière ? En quoi n’est-elle pas autre chose qu’une version un tout petit peu édulcorée de l’économie classique ?
« Innovation sociale »
L’innovation est déjà un concept extrêmement vague, mais sociale ? Sociale ou sociétale ? Avec un impact social, oui mais quel impact social ? Là aussi, flouitude absolue.
On peut sans prendre trop de risques prédire à ces termes le même sort que « développement durable » et « RSE », avec sans doute une durée de vie encore plus courte. Quand on nous l’a déjà faite une fois à l’envers, la seconde fois, le lièvre (oui oui, c’est bien une référence à Produrable) est souvent levé un peu plus rapidement. Comme on dit :
(« Mange ça, pourriture communiste !« )
Crédit photo : buzzword bingo (2011), de Ron Mader, via Flickr ; image mise à disposition sous un contrat Creative Commons by-sa.
il y avait au moins un nouveau stand qui dépassait les logiques de greenwashing. L’association Diag26000 était présente pour la première fois et la preuve d’engagement proposée est bien participative. Ce n’est plus simplement l’opinion des dirigeants et des communicants : tous les salariés sont appelés à donner leur avis
Merci pour votre commentaire. Beau plaidoyer pro domo ! Mais je ne pense pas que le fait que tous les salariés aient la possibilité de donner leur avis dans un cadre contraint qui est celui d’ISO 26000 change grand chose à l’affaire.
J’ai pu constater dans de nombreuses missions que les salariés ont bien du mal à ne serait-ce que comprendre la RSE – adhérer, on en est encore plus loin. Le concept est trop complexe et trop malléable.
Hello Yonnel,
J’ai d’abord cru que tu quittais le développement durable. J’ai été très attristée à cette idée, si tu abandonnes le navire, qui reste-t-il ?
Je suis donc soulagée que ce soient seulement le développement durable et la RSE qui se fassent la malle, parce que j’y étais préparée depuis quelques temps. Ils reviendront peut-être sous d’autres noms, mais je suis bien d’accord, ça n’est pas la transition. Tu n’évoques pas l’économie collaborative, bien plus hype que l’économie circulaire 😉
Salut Céline (from the early squad) !
Je ne quitte que l’étiquette 😉
Tu as raison de mentionner l’économie collaborative. Pour moi c’est un peu différent, un peu un autre sujet que les 3 autres, et pas une nouvelle version du DD. Mais côté buzzword, c’est du lourd.
En fait, il faudrait y consacrer tout un article !
Rien à ajouter. Merci pour ton billet.
Cela me rassure que tu mentionnes « innovation sociale » parce que celui-ci, je le voyais tellement souvent que je me disais que c’est moi qui avais raté un truc.
J’avais cru un moment, que les structures étaient réellement en recherche de méthodos et de process encore non découverts à ce jour.
Transition oui celui-ci ca fait un moment qu’il remplace DD.
Quant à économie circulaire, je me souviens aussi du débat lancé à l’époque du buzz craddle-to-craddle. si DD est un oxymore, EC est peut-être une tautologie 🙂
Maintenant prenons un peu de recul. N’est-ce pas normal que les concepts soient flous puisque les activités, les personnes et les structures ont toute leur spécificité.
N’est-ce pas présomptueux de vouloir trouver un vocable qui permettrait de transcender tous les secteurs économiques sur un objectif aussi vague et ambitieux qu’est l’épanouissement ?
Ça fait sacrément plaisir de te voir revenir ici, Baptiste ! #vieuxdelavieille #canalhistorique #çasertàrienleshashtagssurmonwordpress
Merci pour ta prise de recul. Oui c’est un peu normal qu’on n’ait pas encore trouvé de terme stable, pour la raison que tu indiques, et parce que tout est à réinventer. Un mot ou une notion, c’est forcément réducteur.
Le problème, c’est celui des étiquettes. J’ai le même avec communication responsable, toi aussi avec achat éthique. Mais épanouissement, ça me semble très bien. On devrait tenter de lancer ça. Tiens, l’épanouissement sociétal, ça a de la gueule (de DD).
Cet article m’avait échappé ! Et encore une fois, je constate que nous sommes sur la même longueur d’onde. DD lasse, RSE s’épuise sauf dans certaines bulles qui « outillent » la RSE avec les ODD des nations Unies… Les tendances tous azimuts pour lancer de nouvelles expressions me laissent perplexes.
Pour ma part, je continue à promouvoir l’utilisation de ces vieux vocables, parce que je trouve que l’agitation sémantique n’apporte rien de mieux, et qu’il y a tout de même des éléments stables à donner à lire, à voir, à comprendre, qui s’inscrivent dans une logique, une histoire, autour de ces deux concepts.
Oui, ça doit être l’âge 😀
Merci, Odile ! Oui, une réaction raisonnée à toutes ces dérives autour des mots est de garder les mots, mais de leur (re)donner du sens et de la substance.
Si c’est ça, l’âge, alors soyons vieux 😉