Ces derniers temps, E. Leclerc veut jouer le rôle du chevalier blanc de la consommation responsable. Sa dernière idée, un logo « Conso-responsable » pour aider les consommateurs à agir en ayant facilement accès aux produits qui permettent de consommer plus responsable. Mais malgré la campagne de pub TV, le site web dédié et les réponses en commentaire sur les blogs, ce logo « Conso-responsable » représente plus un danger qu’une avancée pour la Consommation Responsable.
Des critères de sélection confus
Comment un produit peut obtenir le logo « Conso-responsable » ? La réponse à cette question toute simple n’est pas facile à trouver. Sur le site web dédié, E.Leclerc présente 5 critères : composition, fabrication, emballage, usage et information. Pour obtenir le logo « Conso-responsable » les produits doivent démontrer leurs performances sur au moins 2 de ces critères. Sauf que les critères sont tellement flous qu’on ne peut rien en tirer.
Exemple : « composition : qualité des ingrédients ou composants. Valeur nutritionnelle pour les produits alimentaires. » Passons sur le fait que la qualité est une notion très subjective. Passons aussi sur le fait que la « bonne » valeur nutritionnelle varie selon les individus. Reste alors la question fondamentale… qu’est-ce que ça veut dire ? Pas d’OGM ? Pas d’élevage industriel ? Pas d’huile de palme ?
Pour trouver une réponse à ces questions, il faut parcourir la toile un certain temps et prendre le temps de lire les commentaires postés sur l’article « Leclerc crée ses codes de consommation responsable ». Un porte parole de E.Leclerc y précise qu’il existe 38 sous-critères précis et vérifiables (mais jamais communiqués…) qui permettent de détailler les critères :
– Composition : évaluation de la qualité des ingrédients ou composants (matière recyclée, taux de graisses saturées, respect du Programme National Nutrition Santé, respect de la politique de marée, …) ;
– Fabrication : processus de fabrication réduisant l’impact sur l’environnement (mode de fabrication limitant l’impact sur l’environnement certifié par des labels environnementaux, réduction des kilomètres parcourus sur l’ensemble de la chaîne en aval et en amont de la fabrication, …) ;
– Emballage : quantité de matière utilisée et recyclabilité (type de matériau utilisé et pourcentage de matériau recyclable, pourcentage de réduction du poids total de l’emballage, …) ;
– Usage : Favorise un usage moins impactant sur l’environnement (pourcentage de réduction du bilan énergétique du produit lors de son utilisation, label couvrant le produit sur sa propriété biodégradable et/ou compostable, …)
– Information : qualité des informations accessibles sur le produit (liste des composants du produit figurants sur le packaging ou le produit, mentions relatives au recyclage de l’emballage du produit, …)
Autre information apprise au détour d’un commentaire, le produit ne doit pas non plus tomber sous le coup d’un critère éliminatoire :
– Non respect des allégations environnementales définies par le Conseil National de la Consommation (CNC);
– Non respect de la politique développement durable de l’enseigne E.Leclerc (bois, huile de palme et marée) ;
– Information du fabricant susceptible d’induire le consommateur en erreur.
Orangina, BN, Heudebert : les nouveaux produits responsables
Avec des critères aussi confus, il fallait s’attendre à quelques incohérences dans les produits porteurs du label « Conso-responsable ». Mais de là à faire de Orangina, BN et Heudebert les nouveaux ambassadeurs de la consommation responsable, il y a de la marge ! Et pourtant, Orangina est le seul soda porteur de ce logo. Qu’a fait la marque pour mériter cet honneur ?
Orangina est performante sur la composition car elle signataire du Programme National Nutrition Santé. Cela veut dire que la marque Orangina Schweppes s’engage à réduire de 7% à 12% la teneur en sucres ajoutés de certaines de ces boissons. Mais ces engagements ne portent pas sur la boisson Orangina car la marque n’a pas trouvé de « recette qui satisfasse aux goûts de [ses] consommateurs » (source). Autrement dit la boisson Orangina qui porte le label « Conso-responsable » n’est pas concernée par le Programme National Nutrition Santé.
Orangina est performante sur la fabrication car elle est certifiée ISO 14001, la certification associée au management environnementale. Cela ne veut pas dire que la marque ne pollue pas ou même qu’elle respecte les réglementations environnementales, mais seulement qu’elle a fait le nécessaire pour tenter d’atteindre les objectifs qu’elle s’est elle-même fixée dans son plan d’action (source). Comme engagement pour un développement durable, on a connu mieux ! Autre engagement : 92% des déchets sont valorisés par l’usine de fabrication.
Orangina est performante sur l’emballage car la bouteille est constituée à 50% de plastique recyclé. Orangina est performante sur l’information car elle mentionne les gestes de tri sur l’emballage. Autrement dit elle a dû mettre une petite phrase du style « Engagez-vous à nos côtés en triant ».
Un logo-label qui pourrait supplanter les vrais labels
Le logo « Conso-responsable » met donc sur le même plan Orangina et les jus de fruits de la coopérative Ethiquable qui sont certifiés Agriculture Biologique et issus du Commerce Equitable. Le problème c’est qu’à force de logotiser tout et n’importe quoi le consommateur n’y comprend plus rien.
Mais ça a peu d’importance finalement puisque la campagne de E.Leclerc ne vise pas à faciliter l’accès des produits responsables mais, comme le dit si bien le porte-parole de E.Leclerc, à « mettre en valeur les efforts des fournisseurs [de E.Leclerc] qui produisent de manière plus responsable ». Qu’on ne s’y trompe pas, la cible de cette campagne ce n’est pas le consommateur, ce sont les marques et les fabricants.
En attendant, si ce logo prend de l’importance il risque de supplanter les vrais labels comme Max Havelaar. Et cela pourrait rapidement conduire à un commerce équitable au rabais…
Leclerc ou l’éloge du vide
Le caractère manipulatoire de ce pseudo-label est maintenant une affaire entendue, et les réponses évasives de Leclerc sur le web ne font que confirmer cette impression. Deux mois ont passé depuis la présentation du label, qui nous permettent de prendre un peu de hauteur. Et au bout du compte, tout cela n’est qu’une histoire de communication.
Qu’apporte Leclerc ? Au niveau du choix des produits, des modes de production ou d’approvisionnement, rien, strictement rien. Rien ne change par rapport à avant. Tous les produits sélectionnés étaient déjà présents auparavant. L’offre de Leclerc est rigoureusement la même, seule change la façon de présenter les produits, de les mettre en scène. Il ne s’agit que d’apparence !
De l’art de l’usurpation
Le tour de force est de ne rien changer, mais de procéder à une mise en scène qui donne l’impression du changement. Une bonne partie des codes de parole et des revendications de l’alter-consommation sont repris : le label, le discours global, le positionnement en rupture avec un modèle existant, même l’esthétique (le logo en forme de Terre) et le vocabulaire (« approuvé », « le mouvement », « agir »).
Dans un style pas très éloigné de celui mené par l’actuel Président de la République, c’est la communication qui fait figure d’action. Une communication où la cohérence entre les faits et leur présentation importe peu. Occupation de l’espace médiatique, plaisir de la controverse, emprunt de références propres à ses opposants, dans le but de brouiller les cartes. Mais au moins, on ne parle que de cela pendant quelque temps!
En tentant ainsi de priver d’espace médiatique toute alternative aux grandes surfaces, Leclerc entend préserver cette forme de commerce pourtant sur le déclin. La comparaison avec la politique est pertinente… puisqu’il s’agit d’un choix de société qui est véhiculé par cette communication irresponsable. La façon de communiquer de Leclerc, visant le statu quo, porte en elle-même un message qui va bien au-delà de la simple promotion de produits. Vu la levée de boucliers qui s’en est suivie, pas sûr que Leclerc arrive à infléchir la tendance lourde de la consommation responsable. La vraie.
Article écrit par Guillaume d’ekitinfo.org et Yonnel Poivre-Le Lohé de www.communicationresponsable.fr.
Crédit photo : LH_Wong, sur Flickr, image mise à disposition sous un contrat Creative Commons by-sa.
Bravo à tous les deux pour cet article complet et instructif. Cela m’évite d’avoir à passer trois heures sur le web (ou plus ?) pour trouver les mêmes infos 😉 Comme je m’en doutais, ce label maison est bien bidon…
Quant à la comparaison finale : la politique responsable… deux autres termes antinomiques ?
Mathieu
C’est pratique, les articles écrits à deux, ça fait deux fois moins de travail 😉
Blague à part, pour le coup, oui il nous a fallu beaucoup de lectures sur le sujet, pour être aussi affirmatifs que nous le sommes. Et nous pensions qu’il était intéressant de prendre un peu de recul et d’attendre un peu avant d’en parler. Label bidon, sans le moindre doute.
Tu fais bien de poser la question, les rapports entre politique et communication sont un sujet que j’aimerais beaucoup aborder. Deux termes en principe pas irréconciliables, je garde espoir, malgré les preuves du contraire. Par contre, pour l’aborder correctement, il va falloir de la place (politique et communication responsable, un sujet de bouquin ?). Et je ne suis pas encore prêt à bosser pour des politiques… 😉
Content de voir que l’article t’a plu !
@Yonnel : Deux fois moins de travail pour des articles deux fois plus réussis ! C’est vrai que je suis ravis de la collaboration entre ekitinfo.org et communicationresponsable.fr
@Mathieu : rien que le fait d’utiliser le terme « label » me parait exagéré concernant ce logo « Conso-responsable » de Leclerc.
@Guillaume : d’accord si on parle entre experts. Mais du point de vue du consommateur, c’est un « label » au sens « un élément visuel qui attire mon attention et me donne confiance dans le produit ». Que ce soit une feuille normalisée par l’UE, une planète ou ce puzzle rond de Leclerc, c’est la même chose, non ?
@Yonnel : en disant « 3 heures » je dénigre votre travail approfondi qui a sûrement nécessité plusieurs jours ! désolé !
@Guillaume : Merci ! Je partage cette satisfaction, c’est vraiment un plaisir à la fois d’écrire sur le commerce équitable et de travailler avec toi.
@Mathieu : Que dis-tu ? Plusieurs jours ? Mais c’est plusieurs semaines, presque deux mois d’un labeur intensif, d’une recherche de tous les instants, pour aboutir à un article aussi proche de la perfection ! Bon, je crois qu’on en fait un peu trop…
Ta remarque sur la perception du « label » est très juste. Même pour nous, qui sommes censés nous y connaître, il nous a fallu pas mal d’efforts pour avoir des certitudes, alors que dire du grand public ! Cela nous renvoie une fois de plus à une prise de conscience de la puissance de la communication, et donc à notre responsabilité, qui est d’éviter toute confusion pouvant tromper une partie importante du public. Mission difficile, et qui nécessite de la bonne foi… une bonne foi qui a étrangement tendance à s’évaporer quand il y a un gros budget à la clé.
Bonjour,
double Bravos messieurs pour cet article remarquable ( pour éviter d’en partager un).
J’ai juste une question pour vous, communicateurs professionnels. Pourquoi les communicateurs sont entrain de vider les mots simples qui sont censés guider le consommateur vers la définition voulue, de leurs contenus, ça a commencé par les mots « vert » « Bio » « Eco » « équitable » « durable » et j’en passe? Pourquoi tirer ces mots si signifiants vers le bas?? pourquoi les avoir vendus a des commerçants sans scrupule, Yonnel a apporté un début de réponse, c’est le gros budget. Un communicateur est un marchand de « mots », mais vendre le mot « responsable » contre un joli budget de Monsieur Leclerc est scandaleusement irresponsable, et le consommateur doit reprendre son pouvoir sur les mots que ses ancêtres ont inventé ou, en inventer des nouveaux et de bien s’assurer, cette fois, de leur propriété, pour qu’ils ne tombent pas encore une fois entre les mains de « marchands de mots » peu scrupuleux, le mot « responsable » est un mot qui m’ai cher il me rappel mes parents, mes professeurs, et plein de personnes qui l’étaient vraiment , donc SVP, vendez le au prix que vous voulez mais ne le vendez pas à n’importe qui…
Bonjour,
Et merci beaucoup pour votre commentaire qui, si je n’ai pas de trou de mémoire, est le premier sur ce blog en provenance d’outre-Atlantique. J’en suis tout ému 😉
Je comprends votre réaction. Qu’est-ce que je peux vous dire ? C’est pour cela que ce blog existe, pour essayer de faire prendre conscience aux professionnels du danger de recourir à de la manipulation grossière. Ce n’est bon pour personne.
Pourquoi ? Je reste sur ma réponse primaire. L’argent, le court terme, le trimestre financier. Depuis toujours, la communication a joué le rôle de pare-feu contre tout ce qui pouvait remettre en question le système. Les concepts dérangeants sont happés, assimilés, vidés de leur sens et utilisés pour désigner l’inverse de ce qu’ils étaient censés signifier.
Comment réagir ? Je crois qu’il est important de ne pas abandonner ces mots qui véhiculent des valeurs, mais au contraire se battre pour leur redonner leur vraie place, leur vraie signification. De toute façon, si l’on invente de nouveaux mots, nul doute qu’ils soient repris et déviés dans la seconde…
(Vous venez de me rappeler que ce sujet de la sémantique est dans ma liste d’idées d’articles !)
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