Alors que la conférence touche bientôt à sa fin, un premier bilan de la communication autour de la COP21 peut déjà être dressé. Résumé en deux mots : « grosse migraine ».
Période étrange et surprenante que celle que nous traversons. Il y a 6 mois, on pouvait raisonnablement penser que la COP21 allait occuper tout l’espace médiatique à partir de la rentrée de septembre, et que les annonceurs allaient eux aussi être très présents. Montée progressive vers un point culminant, implication de tout un pays ? Il n’en a rien été. Apparemment il y avait plus d’appréhension que d’envie de mobilisation.
Chemin faisant, et je précise bien qu’on ne parle que de communication, on a sans doute échappé au pire : pas ou peu de campagnes publicitaires massives de pollueurs notoires proclamant leur farouche volonté de « sauver la planète ». Mais on n’a pas pour autant échappé au mauvais. Au très mauvais, même. À tout seigneur, tout honneur : la campagne officielle de la COP21 est, depuis ses débuts, d’une indicible indigence. Vide et bide intersidéral.
Cela a commencé par un mignon cafouillage autour de la révélation du logo : lancé le 14 janvier, modifié le 15. Ah, ce logo… du vert, une belle tour Eiffel, une jolie petite feuille : premier greenwashing d’une longue série. Cela a continué avec un clip officiel tellement irréel que son excellente parodie par Datagueule n’est finalement pas si parodique que ça. Et cela continue avec une campagne de lancement (Facebook et affichage massif) dont les messages sont un des plus beaux exemples de storytelling raté, pour ne pas dire carrément irresponsable (sur-dramatisation, sur-culpabilisation) :
(Préférence personnelle pour le dernier : dire « nous comptons sur vous » tout en dégageant manu militari tous ceux qui ne dansent pas au son du pipeau, ça vaut son pesant de cacahuètes OGM.)
Fête du slip
Cette communication a-t-elle servi de modèle ? Toujours est-il que depuis l’ouverture de la COP, c’est un déluge d’âneries, un florilège de n’importe quoi, un craquage généralisé. Tout le monde se lâche, c’est comme si nous étions en 2007 et que personne ne savait éviter le greenwashing (disclaimer : j’ai une offre pour ça !). Quelques exemples, parce qu’il serait trop long de tous les répertorier :
- Renault qui en pleine COP annonce son retour en Formule 1, discipline du gaspillage et du superflu s’il en est (et je passe sur les nouveaux modèles qui sont lancés en ce moment, même topo). Symbole d’engagements survalorisés, qui sont là pour faire joli, alors que le cœur de métier n’évolue que de manière microscopique : n’est-ce pas la définition du greenwashing ?
- Ikea qui met une éolienne sur les Champs-Élysées pour fournir l’électricité des illuminations de Noël, oxymore parfait. Le XXIème siècle qui alimente le XXème.
- EDF mériterait plusieurs articles, tellement… je n’ose pas dire le fond de ma pensée, il y a déjà assez de gros mots sur ce blog. Après le magnifique « partenaire officiel d’un monde bas carbone », épinglé par le Jury de déontologie publicitaire, je vous présente « les animaux qui interpellent les humains » :
« Partagez vos idées pour le climat »… Voyons voir… et si vous arrêtiez d’utiliser massivement des dispositifs publicitaires qui sont le symbole même du gaspillage d’électricité ?
- Évidemment, le salon Solutions COP21, qualifié à juste titre de salon du greenwashing, a toute sa place ici, avec ces images d’une ouverture complètement ratée et le spectacle terrible de l’État policier qui s’allie aux multinationales contre les citoyens. Quand on monte une entourloupe (les « solutions » ! Mais quelle rhétorique idiote ! Tellement fausse et tellement facile à contrer !) et qu’on prend les gens pour des jambons, on crée de la défiance et on se fait des ennemis. Stratégie perdante. Un exemple : un récit hallucinant de la première journée, comme si rien ne s’était passé…
- Je n’ai pas encore eu l’occasion de visiter la galerie des Solutions et les différents pavillons, au Bourget. Il paraît que cela vaut le détour.
Bouffées d’oxygène
Il y a aussi du bon, et il faut absolument le souligner. Côté entreprises, et par l’intermédiaire de l’excellente compilation de campagnes COP21 sur Sircome, je retiens les e-cleaning days d’Orange, opération bien menée, plutôt cohérente, et surtout utile aux utilisateurs comme à la marque :
Parmi les campagnes d’ONG intelligentes, j’ai trouvé remarquable le détournement de Brandalism. Il vaut le détour, par sa puissance (600 panneaux), sa justesse et sa beauté visuelle. Seul regret : la durée de vie trop courte de la campagne. Eh oui, JC Decaux est hyper rapide !
La présence d’agences de communication (Limite, Sidièse, Mindded, pour n’en retenir que 3) à Place to B, plaque tournante des influenceurs citoyens, est une excellente nouvelle. Il est bon de voir que le monde de la com discute avec la société civile et pas qu’avec les entreprises. Cela leur permet au minimum de savoir précisément comment ces parties prenantes importantes réfléchissent. Félicitations à elles, elles rendent service au monde de la communication. Une question me turlupine : mais pourquoi les agences « plus classiques » (avec les guillemets) n’y sont pas ?
Injonction paradoxale
La bonne question, à ce stade, c’est : « que va-t-il rester de cette profusion de messages ? » Lundi dernier, j’ai saisi dans le métro parisien deux exemples de ce qui peut se passer dans la tête de beaucoup de Parisiens, et sans doute de beaucoup de Français :
À droite : « Noël d’une autre planète ». À gauche : « Arrondir. Et si ce réflexe devenait solidaire ? »
À gauche : « La nature n’a pas besoin de l’homme. L’homme a besoin de la nature. » À droite : « Printemps. Conte de Printemps à Noël. »
D’un côté, faites attention aux ressources. De l’autre, faites-vous plaisir sans réfléchir et consommez un maximum. Comment voulez-vous faire un choix entre les deux ? Comment voulez-vous changer quoi que ce soit dans votre comportement, ou même dans votre perception, avec ces messages contradictoires ? Résultat, le problème est insoluble, on a la tête en vrac, et on ne change pas.
La conclusion que je pressens, hélas, est que le grand public, en France peu impliqué dans une consommation et un style de vie permettant une réduction des émissions de gaz à effets de serre, ne va pas bouger d’un iota. L’urgent va être préféré à l’essentiel. Le temps court au temps long. Les symptômes aux causes. En ce sens, les greenwashers auront gagné : c’est exactement ce qu’ils voulaient. Statu quo. Mais à quel prix ? Celui d’une défiance qui va encore s’accroître à l’encontre des entreprises et de la communication, d’un clivage inutile et dangereux pour tous. Comme d’habitude avec le greenwashing, au final tout le monde est perdant.
Pour les entreprises, cette COP 21 aura été un magnifique jeu de « qui perd gagne ». De l’extérieur, cela doit certainement être perçu comme beaucoup de bruit pour pas grand-chose. Trop rapide, trop mêlé à d’autres événements forts, trop de contradictions. Les marques qui auront su rester discrètes, ne pas se précipiter pour hurler avec la meute (heureusement elles sont nombreuses), devraient être épargnées par la défiance qui frappera les participants (même bien intentionnés) à ce triste jeu. Décidément, cette période conjugue le verbe résister au pluriel.
Crédit photo vignette : la boite à bullshit est de sortie, via Shutterstock.