De vrais événements du monde de la communication se produisent parfois sans la moindre publicité. Ce mercredi 14 octobre 2015, via une simple publication sur le site du Jury de déontologie publicitaire (JDP), c’est peut-être un des grands enjeux de communication autour de la COP21 qui s’est joué.
« Partenaire d’un monde bas carbone »
Les faits : au début de l’été, EDF publie sur son site (page d’accueil et page spécifique) mais également dans Les Échos une campagne où l’électricien se vante d’être « partenaire d’un monde bas carbone », justifiant cette formule par sa présence parmi les financeurs de la COP21 – slogan « EDF se mobilise » et images d’éoliennes à l’appui. France Nature Environnement envoie une « plainte » au JDP. Le JDP estime que la plainte de FNE est « partiellement fondée ». La campagne d’EDF ne respecte pas la recommandation développement durable.
Bas carbone ou bas de plafond ?
Cette campagne est un beau cas de greenwashing. Enfin, beau… le mot est mal choisi. Tout y est au moins tendancieux, au pire mensonger, et systématiquement trompeur.
Si l’on reprend mes 8 erreurs du greenwashing, EDF réalise la prouesse de tomber dans 4 erreurs à la fois : le « prouve-le-moi », l’alibi écolo, le visuel trompeur et le label bidon. On peut même avoir des soupçons que le « 98% de la production électrique française sans CO2 » est un mensonge factuel, mais malheureusement aucune preuve ne vient expliciter ce chiffre (c’est donc au moins un « prouve-le-moi »).
La formule centrale « partenaire d’un monde bas carbone » est purement grotesque. Rien ne peut justifier l’assimilation « partenaire de la COP21 » -> « partenaire du monde », surtout pour EDF, qui selon le rapport de l’Observatoire des multinationales est le 19ème plus gros émetteur de CO2 au monde. C’est aussi absurde que de dire : « McDo, partenaire de la minceur du monde ».
Le principal argumentaire est qu’EDF partage le fameux « objectif 2°C » et est « engagé dans la transition énergétique ». Or rien n’est moins sûr, ou alors il faut expliquer précisément en quoi c’est le cas. La bonne vieille ambiguïté « nucléaire = sans CO2 » est encore à l’œuvre, et les solutions présentées n’indiquent pas quelle proportion elles représentent dans l’activité d’EDF.
Idem pour les visuels : montrer des éoliennes et un barrage hydroélectrique sans dire quelle proportion ces énergies représentent, c’est tromper le public en lui faisant croire qu’EDF, c’est surtout ça. Enfin, les visuels de cette campagne sont certainement beaucoup moins extrêmes et beaucoup moins verts (littéralement) que le somptueux dossier de presse qu’EDF a publié il y a quelques jours. Il ne manquait plus qu’une petite fille de 4 ans qui nous dise : « les petites fleurs, eh ben elles remercient EDF ».
Bref, une communication tout sauf intelligente, qui ne fait que des perdants.
Une régulation en trompe-l’œil, encore et toujours
Cet avis du JDP met une fois de plus en lumière les tares de l’auto-régulation. D’abord, les sanctions sont souvent inexistantes, et quand il y en a, elles sont facultatives. Ici, la sanction consiste en la simple publication de la décision sur le site du JDP. Et légalement, puisque le JDP n’a aucun moyen coercitif, même si la sanction avait été plus sévère, EDF n’aurait pas été obligé de retirer ou modifier la campagne incriminée. Ce qui à ce jour n’a pas été fait.
Ensuite, ici comme trop régulièrement, les décisions du JDP ne respectent pas les textes de l’ARPP. La campagne EDF posait problème sur au moins 6 articles (sur 9) de la recommandation développement durable, et en étant très clément avec EDF, pour au moins 4 articles, il n’y a pas débat. Il est particulièrement étonnant que le visuel n’ait pas été épinglé.
Mais ne faisons pas la fine bouche : cela ne change en rien l’essentiel.
Le signe fort
L’essentiel, c’est qu’une des toutes premières campagnes sur la COP21 a été retoquée par l’auto-régulation. Malgré la défense apparemment assez farouche d’EDF (bonjour les honoraires d’avocats !), France Nature Environnement a visé juste et a mis le doigt là où ça fait mal. Non, la COP21 n’est pas une « opportunité » à exploiter au maximum, peu importe son degré d’avancement ! C’est effectivement un moment important, et j’espère qu’il sera déterminant.
J’annonçais l’an dernier le retour du greenwashing, ces deux campagnes (parmi beaucoup d’autres) le confirment. Certains, dont moi, ont également eu l’occasion de prévenir les annonceurs contre le recours au greenwashing dans le cadre de la COP21. C’est un enjeu important pour la COP21, avec comme risque en cas de greenwashing généralisé (on est partis pour) une désolidarisation des citoyens de ce genre de processus et la création d’un fossé entre toute institution et ceux que ces institutions sont censés servir – le choix entre ordre et chaos, en quelque sorte. C’est aussi un enjeu pour le monde de la communication, qui peut y trouver un moment fort pour se racheter une conduite et retrouver un peu de la confiance perdue.
On va maintenant suivre avec intérêt la réaction des autres grands annonceurs qui voudraient suivre EDF dans ce genre d’aventures. À commencer par Engie, qui vient de faire une campagne presse tout aussi contraire à la recommandation DD de l’ARPP (cliquer sur l’image pour l’agrandir) :
Selon un rapport très fouillé de l’Observatoire des multinationales, les énergies renouvelables représentent 4% du mix énergétique du groupe, et les émissions de CO2 de ses seules centrales à charbon sont l’équivalent des émissions d’un pays comme les Philippines (100 millions d’habitants). Proportionnalité des messages ? Des visuels ? Clarté du message ?
Il n’est pourtant pas hors de portée de communiquer sur la RSE sans faire de greenwashing. Il suffit :
1) de connaître un minimum la RSE et le greenwashing ;
2) de vérifier ce qu’on affirme et de présenter des preuves solides (par exemple, quand on est un constructeur automobile qui mise à fond sur le diesel propre, les résultats de tests de pollution non truqués) ;
3) de parler avec les ONG, y compris les plus virulentes, pour se mettre à la place de ses publics, et ainsi savoir ce qui bloque et ce qui ne bloque pas.
Crédit photo : un super-héro les pouces tournés vers le bas, via Shutterstock.
Ils ont osé. Et ils savent très bien que leur campagne est un vrai ramassi de ****. Je ne suis même plus en colère. Je suis en train de devenir une vieille aigrie de la pub. Je vais réfléchir à un nouveau nom de blog tiens.
Bah alors Céline, un moment d’énervement, ou d’abattement ? Je peux comprendre. Mais ce n’est pas parce qu’on a parfois l’impression d’être à contre-courant que le sens du courant ne va pas changer un jour…
Pour ton nouveau blog, je te déconseille vieilleaigriedelapub.com 😉
Il n’y a pas que leur campagne qui ne respecte pas l’environnement, leur production d’énergie aussi. Quand on regarde les chiffres de la consommation en France (sur : http://www.agence-france-energie.fr ) on s’aperçoit que l’énergie renouvelable n’est pas encore une véritable préoccupation d’EDF.