Et si nous passions le sarkozysme sous le prisme de la communication responsable ? Nombre d’articles sont revenus sur le quinquennat passé et la page politique qui se referme, et l’un de ceux-là m’a particulièrement interpellé : « Nicolas Sarkozy ou la défaite d’une conception de la communication », par Olivier Cimelière. Ainsi, la façon de communiquer aurait une fois encore eu une importance déterminante ?
La réflexion ne manque pas de pertinence, et j’adhère à quasiment chaque argument. Cela m’a rappelé que dans une autre vie, il y a presque une décennie, le 29 août 2003, j’étais allé place Beauvau interviewer Franck Louvrier, alors conseiller pour la presse et la communication (étrange intitulé !) du Ministre de l’intérieur Nicolas Sarkozy, et qui aura conservé cette fonction à l’Élysée jusqu’au 15 mai 2012. Hasard ou pas, l’entretien portait justement sur le style de communication pratiqué par l’équipe Sarkozy. Je suis donc allé fouiller dans mes vieux carnets à spirales pour vous livrer quelques morceaux choisis de cet entretien, et ce qu’ils m’inspirent a posteriori.
Action puis communication vs. communication qui vaut action
Remettons-nous dans le contexte. À la mi-2003, la stratégie d’occupation de l’espace médiatique de Nicolas Sarkozy fonctionnait à plein régime. Rares étaient les JT où il n’était pas présent, au prix d’interventions sur tout et n’importe quoi, pourvu que le sujet puisse être rattaché d’une manière ou d’une autre à son ministère. C’était l’heure de gloire de cette communication « tapis de bombes »… d’où ma toute première question, sur la raison de ce choix de commencer à communiquer non pas après, mais avant l’action. « Le schéma actuel est complètement différent d’il y a 20 ans », analyse Franck Louvrier. « À l’époque, on agissait puis on communiquait. Aujourd’hui, si on ne communique pas, on ne peut pas agir après. Et même, au-delà, si vous expliquez mal, l’action ne sera pas possible. »
Curieuse conception de la communication ! En politique comme pour tout autre sujet, si la communication vient avant l’action, aucune preuve ne vient étayer le discours, et malgré l’indéniable talent des storytellers à la manœuvre, le vide (au mieux) ou la propagande (au pire) finissent toujours par se voir. C’est typiquement une stratégie court-termiste, qui vend le politique comme un produit quelconque, avec des objectifs premiers de notoriété et de présence dans les médias.
Le téléphone sonnait… beaucoup
Et quelle présence ! Si professionnellement, les relations presse ne sont pas mon cœur de métier, et que ma base de comparaison est peut-être faiblarde, les chiffres donnés par Franck Louvrier m’impressionnent et m’interpellent : « Je prends tout le monde au téléphone, ce qui ne veut pas dire y être tout le temps. Une limitation naturelle se met en place, par les journalistes eux-mêmes. Combien de coups de fil ? Oh, j’en reçois 80 par jour environ. » Impressionnant, mais pas sûr que les journalistes y trouvent tous leur compte bien longtemps. 80 coups de fil pour une journée normale (et encore, seulement les coups de fil reçus !), cela veut dire au plus quelques minutes par journaliste : ainsi, seules de mini-infos peuvent passer, et la place laissée à l’analyse est des plus réduites.
« Ce n’est pas une question de quantité, mais de donner la bonne info au bon moment », précisait-il. On voit bien l’objectif : segmenter l’info pour être plus présent – au détriment de la qualité. Et de fait, ces années ont été marquées par une grande pauvreté du contenu journalistique en matière de politique, une sorte de buzz continu dont au final on a bien du mal à se souvenir.
Les effets politiques d’une pratique de la communication
Ce qui marque aussi dans cette conception de la communication, c’est son côté « politique de la terre brûlée » : à l’opposé de la communication responsable, les parties prenantes ne sont absolument pas considérées. Et tout ce qui n’était pas le produit vendu – Sarkozy – y perdait. La gauche, bien sûr, rendue inaudible, mais aussi les cibles des discours sécuritaires (banlieues, minorités) mises au ban de la société, jusqu’à la droite elle-même qui n’existait plus que comme faire-valoir, et plus largement les médias qui en relayant aveuglément les coups de com sarkozystes y perdaient beaucoup de leur crédibilité, et même jusqu’à la politique tout entière dont on pouvait alors facilement croire qu’elle ne se résumait qu’à cette pratique. Quand il n’y a qu’un véritable gagnant et beaucoup de perdants, l’équilibre ne peut être que précaire et temporaire.
Certes, ce style de communication a eu son heure de gloire et a atteint son but principal, qui était de porter Sarkozy au pouvoir, mais il me semble qu’il porte en lui sa propre faillite. D’une part, le fait de ne pas penser au-delà du très court terme et de l’occupation médiatique empêche toute préparation de l’avenir, ce qui rappelle immanquablement la communication de certaines entreprises dont la constance n’est pas le fort (EDF et Renault, par exemple, pour les plus visibles) et qui en paient le prix par une image écornée. D’autre part, quand on communique avant l’action et en enchaînant les coups, cela met une pression démesurée sur les « services » en charge de la réalisation des annonces. Dans le cas de Nicolas Sarkozy, les services en question étaient alors son cabinet, les autres ministères, l’Assemblée et la police. Très rapidement, les annonces n’ont pas été suivies d’effet et n’ont pas cessé de faire croître le ressentiment, jusqu’à rendre la réélection impossible.
La conception de la communication de Nicolas Sarkozy est-elle responsable de son échec ? À elle seule, non, de nombreux facteurs sont en cause, la plupart purement politiques, mais l’incapacité à sortir de ce modèle du coup de force médiatique permanent y a beaucoup contribué. C’est à partir de mai 2007 qu’il aurait fallu changer de style, la conquête étant terminée. Revenir à un rythme médiatique plus calme, permettre à tout le monde de souffler, et adopter cette règle de communication que le sarkozysme n’aura fait que renforcer : on ne communique que quand on a quelque chose d’important à dire, et que l’on dispose de tous les éléments de preuve.
Petites perles à retardement
Pour finir sur un ton à la fois plus léger et plus polémique, les notes prises pendant cette interview recèlent quelques citations qui se révèlent aujourd’hui assez savoureuses. Je ne résiste pas au plaisir de les partager (mes notes sont disponibles à qui veut venir vérifier) :
– « Ce ne sont pas les sondages qui font agir. »
– « Nicolas Sarkozy écrit ses discours tout seul. »
– « Je suis convaincu de la supériorité de la communication sur l’information. L’information ne fonctionne que dans un sens ; la communication, dans les deux sens. »
– « Nicolas Sarkozy s’économise plus dans ses relations médias depuis les européennes de 99. »
– « Nicolas Sarkozy n’a pratiquement jamais fréquenté les Quatre colonnes à l’Assemblée. Il n’est pas fan des petites phrases. »
Crédit photo : mikiane, sur Flickr, image mise à disposition par son auteur sous un contrat Creative Commons by.