Certaines images ne semblent jamais perdre en popularité… mais ceux qui les utilisent devraient avoir conscience de leur origine.
Si le « keep calm and carry on » (et multiples dérivées), qui tire son origine du début de la seconde guerre mondiale, est une gentille imposture qui peut même être interprétée comme un hommage au flegme britannique, il en est autrement pour le « I want you… », fameuse affiche qui représente l’Oncle Sam nous pointant du doigt.
L’origine guerrière est en commun, mais c’est ici à la première guerre mondiale que l’on remonte. 1917 précisément, et l’entrée en guerre des USA. Auteur de l’affiche : James Montgomery Flagg. Détail amusant : l’affiche est un plagiat, du moins une adaptation peu déguisée d’une affiche anglaise de 1914, « Lord Kitchener wants you ». Dans la com, rien ne se crée, tout se recrée… Mais revenons à tonton Sam.
François Wilson
Vous voyez les promesses de François Hollande ? Eh bien, à l’élection américaine de 1916, Woodrow Wilson en a fait une belle, de promesse à la Hollande : nous n’entrerons pas en guerre. « He kept us out of war » était son slogan. Et de fait, après la décision et surtout après la conscription, une large majorité était hostile à la participation à cette guerre lointaine.
Comment Wilson s’y est-il pris pour retourner l’opinion ? Par ce qui restera comme l’une des premières grandes opérations de propagande à l’échelle d’un pays. Fût mis en place le Committee on Public Information (CPI), aussi appelé commission Creel, du nom de George Creel, un journaliste aux méthodes disons ambiguës.
Dans cette commission, on trouvait des journalistes, mais aussi des communicants comme Edward Bernays et Carl Byoir, des politiques, des artistes et des militaires. Ils ont utilisé tous les moyens médiatiques à leur disposition : des affiches (beaucoup d’affiches – plus de 1 400). Des films. Des spots radio. Des journaux. 75 000 « Four Minute Men », qui prenaient la parole dans les lieux publics pour répandre la « bonne » parole. Et derrière la rhétorique, la vérité a souvent été malmenée par ce CPI.
Trouvons autre chose !
On peut considérer que pour la France, le résultat de cette campagne de propagande a été bénéfique. Reste que c’est le premier exemple d’ingérence dans un conflit armé au nom de la démocratie, qu’il s’est fait contre l’avis de la population, et que les moyens employés étaient au minimum contestables, au maximum franchement détestables. Cette campagne, comme les discours de Wilson (notamment celui de l’entrée en guerre), restent dans l’Histoire comme des monuments de langue de bois, voire d’énormes mensonges… publicitaires ?
À toutes les startups ou entreprises de l’ESS qui s’emparent de cet imaginaire, je ne saurais trop leur conseiller de se demander si leurs valeurs et leur identité sont les mêmes que celles de la première opération de propagande de masse. Ne sommes-nous vraiment pas capables de trouver d’autres visuels ?
Crédit photo : affiche déchirée de l’Oncle Sam, via Shutterstock, et l’affiche d’origine, via Wikipédia, maintenant dans le domaine public.
Bonjour Yonnel,
Merci pour ce décryptage. On dirait du Alain Korkos !
Par contre je ne suis pas d’accord avec cette idée que le contexte serait consubstantiel au visuel.
100 ans après, et justement parce que l’on a totalement oublié le « pourquoi » et le « pour quoi », il est à mon avis tout à fait possible d’user d’un quoi totalement vierge.
Un peu comme si, au lendemain des attentats, dans le « Je suis Bruxelles », on accusait ceux qui ont repris le visuel de Tintin d’user d’un personnage légèrement raciste…
Bien à toi
Salut Baptiste ! Aaaaah, mais c’est une bonne nouvelle : enfin, on n’est pas d’accord 🙂
Je vois ce que tu veux dire. Mais d’abord les deux exemples ne sont pas comparables : pour Tintin, c’était un aspect non essentiel, alors que pour le « I want you » c’est l’ensemble de l’opération, et encore plus ce visuel, qui pose problème. Et, fondamentalement, je crois que ce visuel porte au plus profond la marque de la propagande : jeu entre culpabilisation et volonté de donner de l’importance, appel à des sentiments patriotiques pour tout et n’importe quoi.
Pour te donner un élément de contexte, la dernière fois que j’ai vu cette affiche, disons que j’en ai été a-choqué. Tu saisis l’allusion. Je me suis dit que la référence culturelle était mal venue, et que si l’ESS ne faisait que reprendre les codes du patriotisme US dans tout ce qu’il a de plus tordu, on n’allait pas vraiment dans la bonne direction.
Peut-être ai-je sur-réagi ?