Le 21 janvier dernier a été présenté à Sciences Po « le guide de la communication responsable », édité par l’ADEME. J’étais présent, et surtout j’ai lu attentivement le guide. Que faut-il en retenir ? Quel avenir pour la communication responsable ?
Alors que ce blog dormait tranquillement et passait silencieusement le cap des 10 ans, était-ce mon manque d’attention ? J’ai eu l’impression que dans le petit monde de la communication responsable, plus grand-chose ne se passait non plus. Erreur. L’ADEME, qui avait déjà posé en 2007 un jalon important avec le « Guide de l’éco-communication », vient d’en poser un autre avec ce guide. Gage de sérieux, les auteurs sont Mathieu Jahnich, Thierry Libaert, Aurélie Wastin, Sandrine Cadic et Valérie Martin.
Maturité et convergence
Ce livre marque une étape importante dans l’évolution de la notion de communication responsable. Autrefois nous n’étions que quelques-uns à y voir une pratique à part entière, valable quel que soit le sujet abordé. Ce guide vient reprendre cette vision, et à ce titre le passage de « l’éco-communication » (2007) à une communication responsable pleine et entière (2020) est particulièrement significatif.
Alors certes un livre ne fait pas tout dans l’évolution d’une idée, et on en trouvera encore beaucoup qui choisiront la version « communication sur ce qu’on fait de bien », mais nous disposons maintenant d’une référence estampillée ADEME pour expliquer que la communication responsable est en fait « une communication plus sensible aux enjeux écologiques, davantage à l’écoute des habitants de notre planète, une communication qui s’interroge autant sur sa manière de délivrer ses messages qu’à leur contenu, une communication qui intègre également la notion d’urgence » (p.7).
Autre clarification bienvenue, le lien entre communication et consommation est établi on ne peut plus clairement. Les deux ne peuvent être dissociés, la communication n’est pas la fille du marketing qui vient bien gentiment en bout de chaîne « faire parler de », elle est un rouage essentiel du système de consommation, les deux domaines s’influençant mutuellement.
C’est en fait un guide extrêmement complet, où l’on ne regarde pas la com par le petit bout de la lorgnette. Les questions abordées sont très diverses, avec une approche qui donne à la fois des clés pour comprendre et des pistes pour agir.
Quelques défauts
À chaque livre ses défauts. Ici, j’en vois trois :
- sur la forme : l’encrage est insuffisant, rendant la lecture assez pénible (éclairage parfait indispensable), la mise en page est confuse, et les illustrations vraiment pas au niveau du texte ;
- sur le texte : on peut bien le comprendre venant de l’ADEME, le politiquement correct pointe le bout de son nez de temps en temps, même si l’on sent que les auteurs ont voulu lutter contre. Spécialement, la partie consacrée à la régulation le dit entre les lignes, sans le dire, mais en le disant un peu quand même : la régulation à la française est inadaptée aux enjeux du moment, et dessert la communication bien plus qu’elle ne la sert (j’y reviens dans un prochain article) ;
- sur la diffusion : le guide est édité par l’ADEME, à la différence du livre de 2007 (Eyrolles). Il n’est disponible que sur le site de l’ADEME, où même le paiement par CB n’est pas prévu (sauf pour la version ebook). Il faut vraiment le vouloir pour avoir ce guide ! Cette diffusion limitée n’aidera pas à disséminer son excellent contenu.
Ce qui fera la différence
Les choses sont maintenant écrites noir sur blanc, les communicants n’ont plus d’excuse. Comme le dit fort justement Jacques-Olivier Barthes (dircom WWF France) : « La question est donc de savoir si la publicité va mettre sa puissance et sa créativité au service de la transition écologique en informant mieux les consommateurs des impacts de leur consommation et en faisant la promotion d’un mode de vie compatible avec les limites de la planète ou, au contraire, être un vecteur de résistance au changement en continuant à faire la promotion des valeurs de la société d’hyperconsommation » (p.69) (ce qui est dit pour la publicité est aussi valable pour la communication et le marketing).
Mais pour la communication comme pour la consommation, il y a loin de la pensée à l’action. Pour dire le fond de ma pensée : la sacro-sainte « prise de conscience », j’en ai plein le dos (et le dos est près d’une autre partie du corps encore plus adaptée pour dire ce que j’en pense). Une prise de conscience n’est que le tout début d’un processus, et beaucoup en restent à la prise de conscience. C’est dans les faits qu’il faut que les choses bougent, et la communication a encore des avancées immenses à réaliser. Tous les jours on peut constater l’opposé de la communication responsable promue dans ce guide.
Pour le dire autrement : ce n’est pas parce qu’on est convaincu par quelque chose qu’on agit différemment. Si ce livre est un guide qui se veut aussi opérationnel que possible, cela reste un livre. Et je ne crois pas qu’on change les pratiques d’une profession avec des livres – constat que j’applique au mien et à tous les autres.
Pour changer, il n’y a qu’une seule chose à faire : rentrer dans le concret. Désapprendre. Réapprendre. Se confronter à des cas limites. Faire, défaire, refaire. Hésiter. Se planter. Comprendre pourquoi. Réussir enfin. Bref : se former et être accompagné. Cela tombe bien, on me souffle dans l’oreillette que des formations sont prévues par l’ADEME pour accompagner cet ouvrage. Je souhaite qu’elles soient aussi nombreuses et aussi bien vendues que possible.
Quoi qu’il en soit, ce guide de la communication responsable devrait être mis entre les mains de tous les communicants, débutants ou chevronnés, en agence ou chez l’annonceur, externes ou internes, privés ou publics ! C’est un livre référence, et je souhaite qu’il devienne le livre de chevet du plus grand nombre. Encore une fois, il est disponible sur le site de l’ADEME (12 €, pas cher !!).
Réunion d’anciens combattants
Quant à l’événement de présentation, sous forme de tables rondes, il m’a inspiré à la fois du désespoir et de l’espoir.
Côté noir, j’ai eu l’impression de croiser toujours les mêmes têtes, et d’avoir toujours les mêmes discussions qu’il y a 10 ans. Les vieilles têtes, je les retrouve avec beaucoup de plaisir ; les vieilles discussions, j’aimerais les ranger dans la case « dossier réglé ». Finalement, en 10 ans, cela n’a pas vraiment évolué.
Côté blanc, j’ai senti un frémissement : la réception à ces questions est maintenant plus bienveillante. Quand un publicitaire dans l’assistance intervient pour dire que la question centrale est de remplacer le PIB, et que nous ne savons pas comment accompagner la décroissance, on se dit que quelque chose est peut-être en train de se passer. La profession serait-elle prête à bouger ?
À vous de voir (j’ai ma petite idée) :
Pour finir, je reprendrai les 3 enjeux majeurs qu’Erwan Lecoeur a identifiés pour les communicants dans sa magistrale synthèse :
- comprendre un petit peu mieux ce dont nous parlons ;
- réinventer la communication (qui sont les nouveaux héros ? que doivent être des « récits de vies réussies » ?) ;
- réaliser la transition des usages autant que de notre pensée.
Alors, on s’y met ?
Crédit photo : « Crepuscular rays at dawn over the Normandy coast », image mise à disposition par TeaMeister sur Flickr sous un contrat Creative Commons BY 2.0.