En complément à ma traduction de la tribune de Milton Friedman sur la RSE, voici mon analyse de ce texte, sur le thème : pourquoi Friedman se trompe, et pourquoi la communication responsable devrait être adoptée par la majorité des entreprises.
Deux actus, et l’analyse de Friedman tombe
En introduction, deux brèves tirées de l’actu du jour : l’action Sodexo baisse de 5,3% en un jour, malgré l’annonce d’un exercice 2008-2009 en hausse. La cause de cette baisse ? Une autre annonce du leader mondial de la restauration collective, qui prévoit un nouveau plan d’économies pour 2010. Le marché sanctionne une décision qui fragilise le groupe. Ce n’est pas le dirigeant qui est sanctionné, c’est l’entreprise en elle-même. Autre nouvelle du jour : dans le procès de l’Erika, le parquet général vient de considérer que Total était pénalement responsable du naufrage. L’entreprise, en tant que personne morale, est donc responsable devant la justice pour les dommages qu’elle pourrait causer, même si aucun être humain n’a été blessé ou tué.
C’est donc l’argument de base de Friedman qui tombe. Si les hommes ont des responsabilités, l’entreprise aussi. Les décisions qu’elles prennent comme un collectif d’hommes ont des conséquences, et ce collectif doit en assumer les conséquences devant la loi, devant les actionnaires, devant les salariés, devant les collectivités, devant les banques, devant l’État collecteur des impôts.
Je viens ainsi de lister bon nombre des parties prenantes, légalement directement impactées par les actes de l’entreprise. Alors, pourquoi pas prendre en compte tout le monde, et étendre ces responsabilités aux riverains et aux associations (qui pourraient très bien avoir un impact sur l’entreprise, s’ils intentaient une action en justice, sans parler de l’enjeu d’image) ?
De l’utilité de poser des limites
La thèse de Friedman a un autre gros défaut : elle est déséquilibrée, car tous les arguments déployés (au prix d’une mauvaise foi remarquable de constance) visent à faire que le seul but visé soit l’augmentation du capital de l’entreprise, au détriment de toute cohésion sociale. Sa réalisation met en danger la société dans son ensemble, et également l’entreprise.
Depuis 20 ans, ce programme sociétal a été mis en application, jusqu’à ses limites. Toujours plus de profit à court-terme, au détriment de tout le reste. En particulier au niveau des politiques régulatrices : le désengagement de l’État est général. Ce n’est pas une analyse politique, juste une constatation factuelle. Auparavant, le sort de la société reposait sur les États, pour le positif (le pouvoir de décision de l’évolution de la société) comme pour le négatif (responsabilités de toute sorte, envers tous). Ce rôle a été majoritairement transféré aux entreprises, pour le positif, surtout. Mais elles ne peuvent s’exonérer du négatif, c’est-à-dire de devoir maintenant assumer les conséquences négatives de leurs décisions. On ne peut pas avoir l’argent du beurre sans prendre soin du beurre.
Un autre problème de la théorie de Friedman réside dans l’absence de limites. En admettant qu’elle réussisse, on aurait : une inflation galopante, des pollutions répétées, et l’exclusion de toujours plus de travailleurs. Toute ressemblance avec une situation réelle étant purement fortuite, ce modèle ne peut perdurer, parce que les entreprises ont besoin d’acheteurs pour leurs produits, et que si les ressources naturelles consommées par l’entreprise venaient à s’épuiser, l’entreprise n’y survivrait pas (qui veut parier avec moi du nombre d’entreprises pétrolières qui seront encore debout dans 50 ans ?). Il faut mettre une limite quelque part. Et comme le législateur semble de moins en moins en mesure de le faire, c’est à l’entreprise d’assurer sa propre pérennité, en contribuant à la société, ce qui en retour ne manquera pas de lui bénéficier.
Un enjeu de communication
Revenons maintenant à la communication responsable. Le but de cette communication n’est pas que de parler de RSE, d’environnement ou de social. Il est de faire en sorte que l’entreprise tienne compte de l’ensemble de ses parties prenantes, pour qu’elle soit acceptée et qu’elle puisse prospérer. Ainsi, elle réduit les risques d’être attaquée. Cela nécessite une politique d’entreprise intégrant réellement la RSE (et pas seulement à la marge, comme effet d’aubaine), et où l’entreprise est prête à se considérer comme faisant partie de la cité, donc un minimum ouverte, et non définitivement opaque et fermée à toute influence.
C’est pour cela que je promeus la communication responsable. Appliquée avec subtilité et méthode, elle apporte à l’entreprise la meilleure des images, et fait grimper sa valeur. Combien de marques bénéficient d’un attachement réelles de leurs parties prenantes ? Combien seraient défendues si elles étaient en danger de faillite ?
Camarade ?
Pour reprendre une expression que Friedman n’aurait pas reniée, suis-je un indécrottable communiste en m’exprimant ainsi ? Pas le moins du monde. Avez-vous entendu ? Le mur de Berlin est tombé, le communisme est mort et enterré. La question ne se pose même plus. Si vous pensez que le fait de ne pas tout consacrer immédiatement à l’argent roi est du communisme, alors il vous faudrait revoir la définition du mot. Mon propos n’est pas de saper les bases du capitalisme, il est justement de pérenniser les entreprises, dont les derniers mois ont montré qu’aucune, peu importe sa taille, n’était assurée de voir l’année suivante. Serais-je assez stupide pour nuire à l’entreprise dont je veux qu’elle m’emploie ?
Crédit photo : miss_rogue, sur Flickr, image mise à disposition sous un contrat Creative Commons by-sa.
Bonjour, je trouve le commentaire de l’article de friedmann très bien construit.
cependant, il faudrait peut-être analysé plus en détail la pensée de Friedmann dans ce post pour éviter le temps de lecture de son article.
Au plaisir de revenir.
Bonjour Arnaud, et merci pour ce commentaire ! En faisant ce genre d’article, je me demandais s’il allait même être lu : sujet pas évident à aborder, nécessitant de la culture économique et de la volonté de remettre en question des dogmes bien établis, analyse personnelle moins importante que l’article en lui-même, etc.. Je constate avec plaisir qu’il est lu… et apprécié ! 😉
Fallait-il pousser l’analyse, reprendre argument après argument ? J’ai choisi de ne pas le faire. D’abord parce qu’il y aurait eu à redire sur quasiment tous les paragraphes, et que je me serais sûrement un peu énervé devant les biais (appelons-les ainsi) de Friedman ; ensuite pour ne pas faire trop long ; enfin et surtout parce que je voulais inciter à la lecture de cet article. Il est long, OK ; mais il vaut vraiment le temps que vous mettrez à vous le coltiner.
N’hésitez pas à revenir, Arnaud !
Bonjour, je suis étudiant au Royaume Uni et voilà l’un des sujets que l’on me propose: » using evidence from appropriate academic literature, critically evaluate the argument that: « the social responsibility of business is to Increase its profits ».
Je me suis dit un peu d’aide d’un spécialiste ne fera pas de mal
Merci d’avance
Ce sera avec grand plaisir… mon adresse, c’est yonnel AT communicationresponsable.fr !