Après avoir raconté la longue et tumultueuse histoire de la communication responsable, il est temps de prendre un peu de hauteur, et de nous tourner vers l’avenir. Mais comme toujours, l’avenir se prépare mieux quand on a bien tiré les leçons du passé. Alors tirons les leçons.
En 2017, nous en sommes à 10 années de mouvements structurés autour de la communication responsable. Quelques constats, que j’espère pertinents :
– La thématique intéresse toujours : elle interroge, elle change le paysage, elle menace un équilibre – ou elle propose un horizon, selon le point de vue que l’on adopte.
– Il a été impossible de faire naître un nouvel acteur sur la scène des associations professionnelles de la communication.
– Comme souvent en cas de nouveauté, l’élément perturbateur a été récupéré par les acteurs installés, qui en donnent une version parfois sincère, souvent timorée.
– Globalement, la communication responsable vivote et n’a pas réussi à vraiment changer la donne.
Alors, pourquoi une force indépendante n’a-t-elle pas réussi à s’installer autour de la communication responsable ?
Les raisons : slip, hamster et mayonnaise (mais pas que)
Je vois quatre raisons à cet échec.
- La première raison tient au contexte économique global de la communication, qui est tendu, pour dire le moins. Les agences de communication responsable n’échappent pas à la règle, avec en plus la difficulté d’être sur un positionnement émergent, avec un marché toujours à construire. Mais c’est le monde de la communication dans son ensemble qui se bat pour « sauver son slip », pour boucler les fins de mois, ce qui fait logiquement passer les actions militantes au second plan. Monter une association professionnelle prend beaucoup de temps, et aussi pas mal d’argent : l’un comme l’autre ont manqué.
- Deuxième raison, beaucoup des animateurs de la première heure sont passés à autre chose : la communication est rarement un métier que l’on pratique toute sa vie. C’est un métier dur, intense, prenant, un peu « hamster dans sa cage ». Un dossier ou une campagne chasse l’autre, à un rythme fou. Vouloir en sortir est compréhensible. Un mouvement est une affaire de femmes et d’hommes, et quand les initiateurs ne sont plus là, il faut trouver un second souffle, et même plusieurs souffles après le second. Cela ne s’est pas produit, et je constate que nombre des pionnières et des pionniers sont passés à autre chose. Personne ne peut leur en vouloir.
- Troisième raison, celle-là inexplicable pour moi : les ONG ont baissé pavillon. Autrefois si actives et si pertinentes avec notamment l’Observatoire indépendant de la publicité, initiative belle et juste, qui appuyait là où ça fait mal, avec beaucoup de savoir-faire, elles sont maintenant atones. La pression qu’elles exerçaient sur les communicants était un puissant générateur de changement. Pourquoi se sont-elles arrêtées ? Il y avait pourtant un boulevard devant elles, parce qu’il était évident il y a 5 ans, et il est toujours évident aujourd’hui, que les pratiques abusives (greenwashing mais pas que !) ont tout pour perdurer. Et les pratiques de communication sont un des principaux déterminants de la société de consommation. Victoire en vue, impact important : mais pourquoi les ONG ne font-elles quasiment plus pression sur la communication ?
- Enfin, et peut-être surtout, on est obligés de se rendre à l’évidence : la mayonnaise n’a pas pris. Aucun des nouveaux arrivants n’est parvenu à trouver un positionnement suffisamment fédérateur, qui donne envie de construire une autre communication que la com’ à papa.
Allons plus loin sur cette piste du mauvais positionnement. D’un côté, les nouveaux acteurs n’ont pas réussi à être suffisamment proches des préoccupations quotidiennes des communicants et à leur apporter des éléments concrets qu’ils pourraient utiliser tous les jours dans leur vie professionnelle. Un mouvement professionnel qui réussit est un mouvement qui permet à ses adhérents de mieux travailler. Mais aussi, d’un autre côté, comme le développement durable, le concept même de communication responsable pose problème. C’est un concept mou, trop malléable, ambigu, récupérable, réductible à l’anecdotique… le problème est donc sans doute mal posé, et le message sans doute pas assez parlant pour la majorité des communicants.
Radeau de la Méduse cherche armateur(s) et capitaine(s) pour le transformer en trois-mâts
Certains diront sans doute que le portrait que je dresse du monde de la communication responsable est peu flatteur. Je n’ai sur la question ni optimisme ni pessimisme : c’est la vie. C’est comme ça. Des mouvements novateurs ont essayé d’émerger, ils ont échoué. Ils étaient passionnants, ils ont fait bouger les lignes… mais les lignes ont globalement résisté. Quiconque prétendrait que « la situation évolue complètement dans le bon sens, on peut continuer avec la même approche » se mettrait le doigt dans l’œil.
« Et maintenant, on fait quoi ? » est la question que l’on peut, et même que l’on doit se poser dans ce moment de bilan. Car c’est ce qui arrivera maintenant qui fera de ces dix dernières années un coup d’épée dans l’eau ou la première étape d’une transformation d’ampleur. Comment aller plus loin que des déclarations d’intention ? Comment s’organiser et devenir la voix de la communication de demain ?
Bref, la communication responsable cherche ses prochains leaders, à la fois visionnaires et concrets.
Le défi est de réussir à mobiliser plus qu’un cercle de militants plus ou moins convaincus, pour changer en profondeur les pratiques de la majorité des quelque 270 000 communicants de France (source : étude EY pour l’UDA et l’UDECAM, 2016 ; 270 000 emplois directs, plus 420 000 emplois indirects et induits). Accompagner des dizaines de milliers de professionnels vers de meilleures pratiques, il y a pire comme défi, non ?
Je reste convaincu que cette nouvelle dynamique devra nécessairement être portée par de nouveaux acteurs. La communication est en crise (selon Edelman, le décrochage est net), et si elle veut perdurer, c’est un changement radical qu’il lui faut. Si le changement vient de ceux qui ont intérêt à ce que rien ne change, j’ai bien peur que ce ne sera qu’une façon différente de berner le pigeon, et de détruire encore plus de confiance, comme beaucoup d’acteurs du digital nous le prouvent. Quant aux acteurs de la première décennie de la communication responsable, sommes-nous les mieux placés pour partir dans une autre direction que celle qui a été la nôtre ?
À une nouvelle génération de reprendre le flambeau, de se nourrir du passé, d’améliorer, de faire différemment.
Si quelqu’un a besoin d’un ex-pionnier pour un coup de main, vous savez où me joindre.
Crédit photo : Mish Sukharev, « No seas for tiny ships » (pas de mers pour les tout petits bateaux !), via Flickr ; image mise à disposition sous un contrat Creative Commons by.
Le succès de la com responsable passe par la sensibilisation et la formation des nouvelles générations. Les écoles de communication ont en la matière leur part de responsabilité. C’est notre conviction à SUP’DE COM. C’est une conviction qui passe aussi par une mise en œuvre exemplaire au quotidien …
Bonjour Henri, merci pour ce commentaire !
Oui les écoles jouent un rôle extrêmement important dans l’évolution des pratiques. Pour avoir enseigné ces 3 dernières années dans une école, je peux en témoigner. Bravo à vous pour tout ce que vous faites en ce sens.
Toutefois, cela ne remplace pas une association professionnelle, pour accompagner tous ceux qui sont déjà en place.