Le terme de transparence revient régulièrement quand l’on parle de communication responsable. Je dois confesser en avoir abusé. Pourtant, ce terme est flou, mal choisi, et doit être impérativement dépassé… si nous voulons en faire un bon usage. Attention, longue réflexion philosophico-business en vue.
Commençons par une petite provoc’. En communication des organisations, la transparence totale est une connerie sans nom. Si on l’entend comme le fait de donner accès à toutes les informations pour tous les publics, je me répète, c’est une vraie connerie. Absolument impossible à mettre en place, sous peine de mettre l’organisation en danger. Je pense spontanément à des secteurs d’activité comme la défense (oui oui, nous vous donnons accès à la localisation de toutes nos réserves de munitions), la santé (si l’on veut être réellement transparent, pourquoi pas rendre publiques toutes les données de tous les patients, et pourquoi pas révéler l’étendue souvent impressionnante des zones d’ignorance sur les effets secondaires ? Ne serait-ce pas très open source ?), ou quand une innovation est en train d’être mise au point… mais c’est le cas partout et tout le temps ! Par rapport à la concurrence pour ne pas perdre son avantage, par rapport au public pour ne pas le faire paniquer sans raison réelle (en faisant bien la différence entre , par rapport aux parties prenantes pour ne pas les noyer sous une masse d’informations non-pertinentes, on ne peut jamais tout dire. La transparence est irréalisable.
Alors pourquoi utiliser ce terme ? On en vient vite à se dire qu’il est un peu malléable, qu’on peut lui faire prendre le sens que l’on veut. La preuve ? En informatique, on parle de système transparent… quand l’utilisateur ne s’aperçoit pas de sa présence. Quand il ne le voit pas ! Qu’il est complètement caché ! Dans ce sens, la transparence est l’inverse de la transparence en communication, qui veut que le public puisse tout voir. Pour qu’un même concept puisse se comprendre comme une chose et son contraire, il doit y avoir baleine sous gravillons. Minimum. Alors creusons un peu.
La place de la vitre
Si l’on prend « transparence » dans son sens premier, physique, il s’agit de la capacité d’un matériau à laisser passer la lumière. Et même dans cette acception où l’on peut penser que tout est clair, Wikipédia nous dit que « aucun matériau n’est totalement transparent : il absorbe une part plus ou moins importante de la lumière reçue en fonction de la longueur d’onde. »
Alors, même pour une vitre, la transparence ne peut être que partielle ?
La vitre est une bonne analogie pour expliquer les différences d’interprétation autour de la transparence. Ainsi, en informatique, on conçoit l’obstacle à la transparence comme étant entre l’information et l’utilisateur. En communication, l’obstacle à la transparence est (ou peut être) la structure qui communique.
Encore une autre utilisation du terme ? En comptabilité, on parle de transparence fiscale, quand les associés sont imposés directement. Pas d’écran entre l’administration fiscale et les associés. Cela concerne toutes les sociétés assujetties à l’impôt sur le revenu… À l’inverse, les sociétés dites opaques sont les sociétés qui sont directement imposées : les SARL, SAS, SA qui doivent payer l’impôt sur les sociétés. Elles forment un écran entre les associés et l’administration. On retrouve la structure comme obstacle à la transparence, comme en communication… mais cette fois du point de vue de l’administration fiscale, pas du grand public.
Tout dépend donc du point de vue depuis lequel on se place. Entre qui et qui la vitre se situe.
Alors quoi, il faut savoir ! Si la transparence totale est impossible, doit-on quand même chercher à l’atteindre, ou pas du tout ?
Et pourtant, on en parlera encore longtemps…
Si la transparence réelle est illusoire, rappelons-nous toujours pourquoi on parle de transparence. C’est une demande de la société, venue essentiellement de la plus grande place prise par les organisations non étatiques (qu’elles soient entreprises ou associations) dans la vie de la cité.
Les abus d’opacité ont aussi contribué à braquer les projecteurs sur ce point. La fameuse affaire actuelle des lasagnes au poney est un bon exemple de ce que l’opacité totale engendre. L’industrie agro-alimentaire, longtemps peu inquiétée pour son organisation multipliant les intermédiaires, méprisant la qualité de ses produits et l’information du consommateur (l’opacité semblait fonctionner !), est en train de se prendre un magnifique retour de bâton, amplement mérité. Plus que les risques pour la santé, sur ce point précis apparemment assez limités, ce qui sape en profondeur l’image de ces structures, c’est bien leur opacité. On ne sait pas à quoi s’en tenir, ça n’a pas l’air joli, aucune information suffisamment complète n’est donnée… donc on a peur, donc on arrête d’acheter.
Autre symptôme évident de cette demande sociétale : la popularité et l’influence de Wikileaks ou des Anonymous, et leur prédécesseur Transparency International. C’est leur façon d’appuyer là où ça fait mal qui les rend si menaçants pour les gouvernements et les grandes entreprises : en voulant rendre publiques une masse énorme d’informations jusque là considérées comme confidentielles, ils identifient clairement le degré de transparence comme un enjeu de pouvoir crucial. Les États en veulent moins, les ONG citées en veulent plus ; le rapport de force est explicite et ouvert.
La société demande que les acteurs de la vie économique rendent des comptes. C’est ainsi qu’il faut entendre cette notion de transparence, qui ne doit donc pas être comprise dans un sens absolu, mais plutôt comme n’étant pas l’opacité.
Le juste degré de transparence
Tout dévoiler, c’est dangereux. Rien, c’est suspect. Alors comment se comporter, quelle attitude avoir et que divulguer ?
C’est le bon degré de divulgation des informations qui doit être visé. La structure doit se considérer redevable envers ses parties prenantes, et leur donner les informations qui leur suffisent pour ne pas être trompées. Ce contrat doit être explicite, négocié et dynamique. Pour cela, comme n’importe quelle action avec les parties prenantes, il faut préalablement recenser les besoins de chacun, s’efforcer de les satisfaire tout en ne se mettant pas en danger auprès d’autres parties prenantes.
Ainsi, au hasard (ou presque), pour une société de conseil en stratégie, management et organisation, le bon degré de transparence, c’est de présenter ses offres commerciales, son organisation, mais l’explication en détail de ses méthodes de travail doit être réservée à ses clients ; les dévoiler serait perdre son avantage concurrentiel.
En-dessous d’une certaine masse d’informations, on inquiète en donnant l’impression de cacher. Et au-dessus d’un autre seuil, on inquiète également en laissant penser à une volonté délibérée de noyer le poisson. À chacun de trouver donc sa zone intermédiaire, entre ces deux seuils, là où l’on génère de la confiance. Reste une constante dans la façon dont on traite la transparence : ce sont les non-dits qui font le danger.
Crédit photo : chatchavan, sur Flickr, image mise à disposition sous un contrat Creative Commons by.